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Tempête Alex : le SMIAGE toujours dans l’urgence
Retour d'expérience
Crédits photos : SMIAGE
Pourtant aguerri aux événements météorologiques extrêmes, le Syndicat Mixte pour les Inondations, l’Aménagement et la Gestion de l’Eau maralpin (SMIAGE) ne s’attendait pas à la dévastation de la tempête Alex. Un an après, les réparations continuent.
Remarquable par sa précocité saisonnière, terrifiante par son intensité, la tempête Alex qui s’est abattue sur la France les 1er et 2 octobre 2020 restera dans les annales. Dans les Alpes Maritimes elle marque aussi durablement le SMIAGE, Syndicat Mixte pour les Inondations, l’Aménagement et la Gestion de l’Eau maralpin. Un an après la tempête, certains ouvrages de protection sont toujours enfouis sous plus de 5 mètres de matériaux.
En charge de la gestion des systèmes d’endiguement de l’ensemble du département, dont ceux de la basse vallée du Var, mais aussi d’une partie de ceux de la Roya et de la Vésubie, le SMIAGE s’est retrouvé en première ligne. « Nous sommes encore en phase d’urgence sur certains chantiers », constate son Directeur de l’Ingénierie et des Travaux Franck Compagnon. Avant la tempête son équipe avait commencé à s’étoffer car la région sortait d’une autre série d’intempéries notables, en 2019, mais l’effectif attendu n’était pas encore en poste. C’est maintenant le cas, avec 22 agents. Cette réévaluation des besoins en moyens humains n’inclut pas l’ampleur de la tâche qui reste immense. Suite à la tempête Alex ce sont 18 millions de travaux déjà engagés, qu’il faut suivre et encadrer, sur un total de 106 millions de travaux de reconstruction, prévus sur 5 ans.
Un rôle avant, pendant et après la crue
Au SMIAGE, la reconstruction d’urgence n’est pas l’unique mission liée aux tempêtes : l’établissement public intervient avant et dès le début des intempéries, assurant la transmission des informations de prévision avec une expertise locale et le suivi en direct des crues, avertissant les communes tout au long de l’événement. La surveillance des ouvrages en gestion est réalisée par des patrouilles organisées en circuits afin de détecter tout désordre susceptible de générer un risque de rupture des ouvrages classés. Par la suite, après la décrue, le SMIAGE inspecte les dégâts sur le terrain pour repérer les désordres sur les digues et les berges. Toutes ces missions passent par une organisation d’astreinte en continu puis par une cellule dédiée au post-crue.
Organisation d’astreinte
Le régime d’astreinte du SMIAGE est en vigueur toute l’année, 7 jours sur 7, 24H sur 24H. Cette astreinte concerne en particulier les SDAL « Système d’Avertissement Local aux Crues », opérés par le SMIAGE dans le cadre d’une convention avec l’Etat, sur plusieurs bassins versants : la Siagne depuis 2018, le Loup et la Brague depuis l’automne 2021 et bientôt la Roya à compter de l’automne 2022. Le but est de suivre et anticiper les crues, afin de prévenir les communes (les maires), chargées de déclencher les Plans Communaux de Sauvegarde. Ce service de SDAL complète le service de vigilance des crues (SPC) de l’Etat, limité au fleuve Var pour les Alpes-Maritimes.
Cette mission est opérée par la cellule de veille hydrométéorologique (un pôle de 7 agents en journée et 3 personnes chargées de la veille en astreinte), à partir d’un réseau de stations de mesure, pluviométriques, limnimétriques et de caméras. Mais l’astreinte concerne aussi l’ensemble des équipes techniques du SMIAGE, dont la Direction Ingénierie et Travaux, à travers les rôles de chef de salle (pour l’organisation de la salle de crise en cas de montée en puissance et le lien avec la direction), les référents ouvrages et les patrouilles de terrain. L’ensemble du dispositif est supervisé par le directeur de permanence, physiquement présent en COD (Centre Opérationnel Département) en cas d’événement majeur.
« Nous savons, en particulier depuis les deux alertes de 2019, que nous pouvons avoir une autre crue une ou deux semaines après la première. Nous avons adapté l’astreinte pour pouvoir tenir dans la durée », explique Franck Compagnon. Avec ce nouveau régime, les équipes ne font plus une nuit en continu et la procédure de changement d’équipe est organisée à l’avance, sur la base des volontaires disponibles.
La tempête Alex a incité à poursuivre cette démarche d’amélioration continue : « Toute l’année, nous avons eu des exercices et des remises en question de la gestion de crue. Nous avons cherché à améliorer encore la documentation. Autre exemple, nous avons organisé des visites de terrain avec des pools de patrouilleurs associant à chaque fois un agent qui connaissait l’état du terrain avant la tempête, pour faciliter les reconnaissances », explique Leslie Salvan, responsable du Pôle Ouvrage hydrauliques à la Direction Ingénierie et Travaux.
Communications coupées
Lors d’une tempête de grande ampleur, la première chose qui tombe, ce sont les communications. C’est ce qui s’est produit entre le 1er et le 2 octobre 2021.
« Deux ou trois heures avant le pic de crue, nous avons réalisé l’ampleur de la tempête. J’étais en préfecture. Une bonne partie des capteurs avait été submergés, emportés par les flots ou par la boue. Les communications étaient coupées et nous étions aveugles, depuis le poste de supervision », raconte Franck Compagnon.
Même sans fil, les communications téléphoniques (mobiles GSM) dépendent des réseaux électriques. Le satellite n’est pas non plus la solution miracle : en temps d’intempérie, les signaux passent parfois très mal. Quant aux capteurs installés sur les cours d’eau, une grande partie ont été emportés par les flots ou par les coulées (laves torrentielles). « Nous avons été aveugles pendant plusieurs jours », poursuit Franck Compagnon.
Face à ce risque de coupure, comment faire la prochaine fois ? Une solution serait d’utiliser des liaisons radio VHF (« very high frequency ») pour les communications, en tirant parti des derniers progrès sur cette technologie. Ce type de liaison, utilisé en mer, est aussi utilisé pour les secours de montagne dans les Alpes. Au SMIAGE des tests sont actuellement en cours. L’objectif : avoir des données en mode dégradé, quand les communications classiques tombent.
Inspections partenariale post-crue
Trois mois, c’est le temps qu’a duré la phase intense de patrouilles de terrain, à la fois dans un objectif d’inventaire des désordres et pour acquérir des données servant à la compréhension scientifique du phénomène. « Enormément de gens ont été mobilisés, nous avons pu nous partager le travail », explique Leslie Salvan. Sur les secteurs de montagne, le SMIAGE a renforcé les équipes de restauration des terrains en montagne (RTM) de l'Office national des forêts. Autre partenariat, celui avec les universitaires du projet de recherche HyMeX (Hydrological cycle in the Mediterranean Experiment), venus observer les conséquences spectaculaires de la tempête sur les hauteurs d’écoulement.
« Les chercheurs d’HyMeX avaient besoin d’observer les laisses de crue dans un délai pas trop long, pour qu’elles ne soient pas modifiées par d’autres événements météos », précise Leslie Salvan. Dans le cadre de ce projet de recherche, les inspections de terrain ont permis d’estimer le débit de pointe des crues. Ces données ont à la fois servi au Cerema, chargé de piloter la synthèse hydrologique de la tempête et au programme de recherche (www.hymex.org) sur les phénomènes extrêmes du cycle de l’eau en Méditerranée.
Standardiser la notation des désordres
La priorité des inspections post-crue, pout tout gestionnaire de digues, est d’identifier les fragilités, les désordres créés par l’aléa sur les ouvrages. Pour effectuer les relevés des désordres, le SMIAGE a innové : Depuis les intempéries de 2019, l’établissement a conçu un système de notation, qui encadre la collecte des relevés de terrain.
Une grille de lecture a été établie, en partant de la caractérisation de l’ouvrage, de l’ampleur du désordre, des enjeux connus et de leur exposition au risque afin de calculer un indice de gravité qui est alors traduit en priorité d’action allant de 1 (pour les désordres les plus importants) à 3 (pour les moins importants). « L’intérêt est d’objectiver les descriptifs de la gravité des désordres, pour pouvoir mieux prioriser les travaux d’urgence », explique Franck Compagnon.
Une réflexion a été menée pour faciliter l’enregistrement et le suivi des désordres au moyen d’une plateforme accessible en temps réel par l’ensemble des agents, à la fois en patrouille et au bureau pour planifier les travaux. Les intempéries de 2019 ont montré, en effet, la difficulté de gérer les moyens disponibles lorsque les désordres sont signalés partout à la fois, sans indice sur leur priorité.
Après avoir examiné plusieurs possibilités, le SMIAGE a décidé d’utiliser le service numérique Smart Vigie, développé par la start-up niçoise Ubiplace. Cette solution de « data visualisation » permet d’enregistrer les désordres et de prioriser les travaux. A terme, l’outil intégrera un module d’estimation des travaux. Des développements importants sont en cours et seront déployés pour le printemps 2022, avec une formation des agents à prévoir.
Pour un établissement comme le SMIAGE, Smart Vigie vient compléter deux autres outils existants : le logiciel SIRS de France Digues, utilisé plutôt pour la gestion courante et la base cartographique « maison », qui permet de visualiser le plus finement possible les ouvrages, les désordres et les travaux en cours.
Même avec ces outils, le travail sur les données liées au désordre est très lourd, remarque Leslie Salvan. Elle comptabilise 350 fiches de désordres et ou travaux, depuis la tempête Alex.
Travaux d’urgence
Qu’en est-il des travaux d’urgence ? Comme de plus en plus de gestionnaires de digues, le SMIAGE a établi des marchés à bon de commande, afin de pouvoir déclencher des travaux sans devoir repasser par la procédure des marchés publics, en disposant de prix connus à l’avance. Le marché a servi de référence, y compris pour des prestataires autres que ceux du marché initial. « Nous avons dû faire des travaux dans toutes les vallées touchées, cela a aidé à relancer l’économie ! », signale Franck Compagnon. Un nouveau marché à bon de commande, courant sur une période de 4 ans, a aussi été signé sur les périmètres de la Roya et de la Vésubie.
Encadrement préfectoral
A situation (presque) de guerre, procédures d’exception : Un arrêté préfectoral d’urgence a permis au SMIAGE de passer des lettres de commande sans procédure de marché public, en particulier pour ôter les embâcles (obstacles boisés) obstruant les cours d’eau. Les services de l’Etat y ont adjoint le régime de « porter à connaissance préalable », ce qui a signifié pour le SMIAGE, de devoir faire des descriptifs, avant travaux, des matériaux à enlever et des interventions.
Aujourd’hui, les désembâclements sont terminés, l’heure est aux consolidations. « Nous aimerions rester à la procédure du porter à connaissance », pour avancer plus vite, explique Franck Compagnon. Cette prolongation à 2022 n’étant pas prévue actuellement, avec le retour au cadre « normal », certains travaux risquent de n’intervenir qu’en 2023 ; 2022 étant consacré aux études d’impact, dont les inventaires faune flore puis à l’élaboration du dossier d’autorisation unique environnemental.
Enseignements en hydrologie
Quels enseignements tirer d’une série de crues, comme celles occasionnées par Alex, sur la morphologie des cours d’eau ? Ingénieure hydraulicienne, Leslie Salvan souligne cette réalité bien connue des spécialistes : les cours d’eau de montagne sont particulièrement imprévisibles ! Un appel à l’humilité, pour les modélisations, mais aussi à la prudence pour les planificateurs. Il est impossible de prédire certains mouvements de matériaux, y compris en aval et les flux hydrauliques sont très difficiles à modéliser, notamment du fait des écoulements très différenciés d’une rive à l’autre, sur un même point du cours d’eau. Cette réalité devrait selon elle être davantage prise en compte dans les projets d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Schémas d’aménagement communaux
Davantage prendre en compte l’espace de bon fonctionnement (largeur) des cours d’eau en période de crue, c’est un des objectifs des « schémas locaux de réaménagements des cours d’eau », impulsés par le préfet à la reconstruction, Xavier Pelletier. Suite à une « première réunion dans une cabane de chantier sous la neige », des ateliers ont été organisés avec les communes et les autorités gémapiennes, dont le SMIAGE. Sept communes sont concernées par ce chantier d’étude et de concertation. Ces planifications concertées sont assez complexes, remarque Franck Compagnon, dans la mesure où elles combinent la sécurisation des berges avec la reconstruction des voies de transports (les ponts, en particulier), avec des impacts sur les bâtiments, parfois classés, qui impliquent l’avis ou l’aval des Architectes des Bâtiments de France.
Impact sur les travaux et EDD
Alex a aussi eu un impact sur des dossiers administratifs en cours. Avant la tempête, le SMIAGE préparait les dossiers de demandes de régularisation (en procédure simplifiée) pour trois systèmes d’endiguement dans la basse vallée du Var. Aujourd’hui, les trois dossiers sont bloqués par les services de l’Etat, qui demandent au SMIAGE de compléter les études de dangers (EDD). « Il nous faut refaire les modélisations avec un scénario de type Alex », explique Leslie Salvan.
Dans l’arrière-pays, à Roquebillière, le SMIAGE et les services de l’ONF ont proposé de reconstruire des protections en urgence, à la place des deux ouvrages non classés, en partie détruits. Les services de l’Etat ont considéré qu’une EDD était nécessaire avant et les travaux sont donc en suspens. Les travaux ont donc été divisés en 2 tranches, avec une reprise immédiate jusqu’au niveau de la berge, tandis que la tranche de reprise de la digue à l’identique est conditionnée au rendu de l’EDD. Cette EDD est actuellement en cours de finalisation, en interne. C’est la première EDD que le SMIAGE a décidé de mener en propre, afin de réduire les intermédiaires.
Adapter le cadre réglementaire
Face à une tempête extraordinaire comme Alex, les outils réglementaires et financiers existants sont-ils adaptés ? La question mérite d’être posée, selon Franck Compagnon. Les programmes PAPI, qui sont souvent un sésame obligé pour financer des études et travaux, prennent un ou deux ans pour être conçus, ce qui peut repousser d’autant le lancement des études ou chantiers. « Nous sommes à fin novembre, un an après la tempête et nous n’avons pas réussi à mettre en sécurité tous les gens », explique-t-il. Alors faut-il plus de souplesse et d’autres outils ? Le préfet à la reconstruction Xavier Pelletier semble partager cet avis. Interviewé le jour anniversaire de la tempête, il a appelé à « définir rapidement une doctrine nationale de gestion des reconstructions avec un cadre global de traitement et une capacité à réaliser plus rapidement les aménagements » (interview dans le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment). Une des pistes à l’étude est la procédure d’urgence à caractère civil introduite par la loi sur l’accélération et la simplification de l’action publique et de son décret d’application n° 2021-1000 sorti le 30 juillet 2021. Cette procédure nécessiterait un arrêté inter-ministériel (intérieur et écologie) afin de réaliser certains travaux d’urgence sans évaluation environnementale et en réduisant les délais d’instruction. L’enquête publique obligatoire serait dématérialisée et réduite à 15 jours.
Parallèlement, le projet de loi des finances 2022 prévoit 31 millions d’euros de fonds d’urgence pour les collectivités locales sinistrées par la tempête Alex dans les Alpes Maritimes. Une partie pourrait être consacrée à la protection contre les inondations.
En savoir plus sur les ouvrages du SMIAGE
Le linéaire sous gestion L’équipe du SMIAGE est en charge de l’ingénierie et des travaux sur un linéaire conséquent : Le SMIAGE gère 38 km de digues qui sont classées suivant la réglementation en vigueur, auxquelles s’ajouteront bientôt 20 km d’ouvrages supplémentaires : des digues déjà en place, mais qui seront officiellement déclarés (et donc classées) d’ici juin 2023. Ces ouvrages constituent 15 systèmes d’endiguement (S.E.) déjà déclarés plus à terme, 15 à 20 S.E. supplémentaires. Ils sont tous gérés par le SMIAGE dans le cadre de transferts et de délégations de la compétence « Prévention des inondation » de la GEMAPI, par les intercommunalités membres du SMIAGE.
L’impact de la tempête Alex sur les ouvrages Sur le bassin de la Vésubie, les principaux sites touchés ont été Saint-Martin-Vésubie et Roquebillière. A Saint-Martin-Vésubie, « tous les ouvrages ont disparu », sur 150 mètres. A Roquebillière, la digue du village a été partiellement détruite, une autre a été emportée sur 490 mètres.
La violence des flux a notamment créé une brèche d’une vingtaine de mètres sur un enrochement bétonné. Un an plus tard, au moins deux ouvrages (digues non classées) sont toujours enfouis sur 5 à 10 mètres de matériaux apportés par l’intempérie, dans le lit du cours d’eau. « On est en train de les redécouvrir », signale Franck Compagnon.
Si une partie de l’attention s’est portée sur la haute vallée, la basse vallée du Var n’a pas été épargnée. Deux « Évènements Important pour la Sécurité Hydraulique » (EISH) ont été enregistrés, en particulier sur une digue qui était en chantier dans la zone industrielle de Carros, à Nice. Ces deux désordres majeurs ont aussi nécessité des travaux d’urgence.
Plus d’informations sur le territoire maralpin ici : https://www.smiage.fr/le-territoire-maralpin/
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