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Surinondation en zone agricole : l’expérience de l’EPTB Meurthe Madon

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illustration Surinondation en zone agricole : l’expérience de l’EPTB Meurthe Madon

Pour rendre opérationnelle une nouvelle Zone de Ralentissement Dynamique de Crue (ZRDC) qui surinondera des terres agricoles, l’EPTB Meurthe Madon a fait établir une servitude d’utilité publique, associée à un protocole d’indemnisation. C’est un processus complexe, qui demande des moyens, du temps et une bonne dose de concertation.

Sur le bassin versant du Madon, un affluent de la Moselle, l’EPTB Meurthe Madon, établissement public territorial de bassin en charge de la compétence Gemapi, pilote la réalisation d’une Zone de Ralentissement Dynamique de Crue. Ce nouvel aménagement (ZRDC), situé sur les communes d’Hymont et de Velotte-et-Tatignécourt dans les Vosges, a été décidé par les élus locaux pour protéger l’aval contre une crue centennale. « Les travaux ont débuté en mars, retardés par les pluies qui n’ont presque pas cessé depuis janvier », explique Anne-Laure Goujon, en charge des ouvrages hydrauliques, du suivi des travaux et des dossiers réglementaires à l’EPTB. Outre la préparation et le suivi des travaux, l’aménagement a impliqué la mise en place d’une servitude d’utilité publique ainsi qu’un protocole d’indemnisation complexe, destiné aux agriculteurs et aux propriétaires.

 


Crue du Madon du 23 février 2024 ( crédit : N. DOHR / EPTB MM)

 

Surinondation agricole
Le principe d’une ZRDC est de « surinonder » une zone située en bordure de cours d’eau pour diminuer les volumes d’eau en aval, en période de crue. Au bord du Madon, la ZRDC reposera sur une digue transversale de 600 mètres de long (en remblais argileux, instrumenté d'un pertuis), qui laissera passer le flot du cours d’eau en temps normal et qui en retiendra une partie en situation de crue. Cette digue surinondera en crue centennale jusqu’à 85 hectares de terres agricoles. « Une partie des terres sont déjà inondées en période de crue et le seront de manière plus marquée avec cet aménagement. Il y a aussi plusieurs hectares qui n’étaient pas inondés et qui le seront en temps de crue », explique Anne-Laure Goujon.

 

Servitude d’utilité publique
Le législateur a établi, via l’article Article L211-12 du code de l’environnement, la possibilité d’établir une servitude d’utilité publique (SUP) « sur des terrains riverains d'un cours d'eau ou de la dérivation d'un cours d'eau, ou situés dans leur bassin versant, ou dans une zone estuarienne ».

L’un des 3 objets stipulés par cet article est précisément celui qui correspond au projet de ZRDC :

« Créer des zones de rétention temporaire des eaux de crues ou de ruissellement, par des aménagements permettant d'accroître artificiellement leur capacité de stockage de ces eaux, afin de réduire les crues ou les ruissellements dans des secteurs situés en aval » (article L221-12 du CE)
 

Concrètement, la servitude qui a été mise en place sur le bassin versant du Madon revient à encadrer les droits et les devoirs des propriétaires et des exploitants agricoles sur la zone destinée à être surinondée, ainsi que les droits du gestionnaire de l’ouvrage (accès pour surveillance et travaux). En particulier, la servitude réglemente les activités et constructions interdites ou autorisées, dans le but de concilier le maintien d’activités agricoles avec le rôle de zone tampon en période de crue.

 

Motif de satisfaction : la servitude, établie officiellement via un arrêté préfectoral, correspond en grande partie au projet de texte qui avait été rédigé initialement par le bureau d’étude missionné par l’EPTB. Ce projet de document avait été inclus dans le dossier d’autorisation unique (incluant l’étude d’impact, les études de dangers…) déposé sur le guichet unique numérique de l’environnemental  (GUN env.) en ligne et correspondant à l’ensemble des travaux du PAPI Madon (ZRDC, systèmes d’endiguement et aménagements « GEMA »).

 

Le processus réglementaire spécifique pour aboutir à l’établissement de la servitude n’a pas non plus été le plus compliqué du dossier, estime Anne-Laure Goujon, bien qu’il ait fallu passer par une phase d’enquête parcellaire, puis par une enquête publique. « L’enquête parcellaire a pu être pilotée par notre géomètre habituel, dans le cadre d’un marché à bons de commande et ce dernier a pu s’appuyer sur ma collègue juriste », explique Anne-Laure Goujon. Quant à l’enquête publique, le tribunal administratif a eu la bonne idée de nommer un des commissaires enquêteurs déjà impliqués dans l’enquête publique liée à l’étude d’impact environnemental du projet global de travaux. « Il connaissait bien le sujet et la première enquête avait déjà permis aux riverains de s’exprimer ».


Vue panoramique de la future ZRDC (crédit : TERELIAN)

 

Concertation avec les agriculteurs

En revanche, l’établissement du protocole d’indemnisation des propriétaires et des exploitants agricoles situés sur la zone de surinondation a été plus complexe et a demandé de nombreuses discussions et réunions de concertation. « Un projet de ZRDC touche directement à l’outil de travail des agriculteurs, il est donc logique qu’ils soient regardants », observe Anne-Laure Goujon.

 

La phase de concertation s’est déroulée en partenariat fort avec la Chambre d’agriculture et avec l’implication de deux vice-présidents de l’EPTB, dont l’un est agriculteur de profession. Débutée en avril 2022, elle a finalement abouti à la signature du protocole, rédigé par la Chambre, en décembre 2023. Pendant une période d’un an et demi, les réunions se sont succédées, d’abord pour expliquer l’intérêt de la ZRDC. Car l’acceptation de ce type de projet, qui bénéficie à l’aval plutôt qu’aux parcelles directement, n’a rien d’évident. Et la perspective d’un événement centennal reste lointaine…

 

L’indemnisation des parcelles surinondées permet-elle de lever les réticences de certains riverains ? Les montants en jeu, qui sont de l’ordre de 20.000 euros pour une petite dizaine d’exploitants et d’un montant équivalent pour un nombre plus élevé de propriétaires, ne sont probablement pas suffisants pour convaincre. D’où le temps passé sur le dossier et la combinaison, en termes de dispositifs réglementaires, de la servitude d’utilité publique (qui s’impose aux parcelles une fois publiée sur le géoportail de l’urbanisme) et d’un protocole d’indemnisation négocié.

 

Indemnisation complexe

Le protocole final prévoit 3 types d’indemnisation avec des modalités de calcul des montants qui se sont complexifiées au fil des discussions, avec une combinaison subtile de paramètres de calcul. Un premier volet indemnise les propriétaires à la création de la servitude, pour compenser la « dépréciation de valeur vénale » occasionnée. Le versement de cette indemnisation s’est heurté à la co-propriété de certaines parcelles. « Nous ne connaissions pas les quotités au sein d’une même famille et la seule solution a été de verser les indemnités parcellaires à un notaire, qui se chargera de les répartir », détaille l’EPTB.

 

Deux autres indemnisations concernent les exploitants, l’une pour le préjudice agricole qui résulte des modifications d’assolement et des pratiques culturales (pour les parcelles qui étaient cultivées) et l’autre pour couvrir au cas par cas l’impact des futures surinondations en période de crue. Ces indemnisations ont supposé la signature de conventions individuelles avec les exploitants, sans souci particulier à ce niveau.

 

Avec le recul, Anne-Laure Goujon peut signaler plusieurs points d’attention et de vigilance. Sur la concertation, l’implication de la Chambre d’Agriculture est un élément clé, en particulier en début de processus pour effectuer un diagnostic état des lieux des propriétés potentiellement impactées (même si les copropriétés intrafamiliales n’avaient pas été identifiées). Elle recommande aussi de s’appuyer sur un bureau spécialisé en concertation quand c’est possible afin de favoriser l’acceptation du projet.

 

Sur les modalités de calcul, « on peut probablement trouver une modalité moins complexe que la nôtre », estime-t-elle. Des modes de calculs trop complexes entraînent des délais supplémentaires lors des calculs, pour des montants qui peuvent être de quelques centaines d’euros…

 


Pertuis en construction (crédit : GTM TP Est)

 

Maîtrise foncière de l’emprise

Un tout autre sujet, enfin, concerne la maîtrise foncière de l’emprise de la nouvelle digue. Sur ce volet spécifique, l’EPTB a fait le choix de proposer une acquisition amiable, tout en lançant une procédure de « Déclaration d’Utilité Publique » pour une éventuelle expropriation. Le processus d’expropriation est long, mais peut être interrompu ou modifié chemin faisant, y compris si des acquisitions amiables se décident. Ici, la principale difficulté a été de trouver… un notaire réactif et disponible. Une denrée qui semble rare dans la région de la ZRDC. Cela serait anecdotique si cela ne retardait pas tout le projet, puisque les travaux ne peuvent pas débuter tant que la propriété de l’assiette de l’ouvrage n’appartient pas à l’EPTB.

 

Depuis mars 2024, la ZRDC est lancée et les travaux devraient se terminer, si tout se passe comme prévu, d’ici la fin 2024. Cette ZRDC est autorisée administrativement en tant qu'aménagement hydraulique et barrage de classe C, sans être intégrée à un système d'endiguement. Il restera pour l’EPTB à créer un comité de suivi des surinondations, dont la mission sera de veiller à la bonne application du protocole et dresser l’état des indemnisations liées aux crues. Il comprendra trois représentants de l’EPTB Meurthe Madon et trois représentants de la Chambre d’agriculture des Vosges.

 

Cette première ZRDC ne devrait pas rester la seule, puisque l’autre bassin versant géré par l’EPTB, celui de la Meurthe, pourrait aussi être équipé de ZRDC à l’avenir. Auparavant, il sera doté de son programme d'Actions de Prévention des Inondations (PAPI). L’établissement public s’appuiera sur l’expérience du Madon et sur l’argumentaire, pas si facile à faire passer, de la solidarité entre amont et aval.

 

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Entreprises prestataires pour la ZRDC :  ARTELIA (maîtrise d'oeuvre) et les entreprises de travaux Terelian, Sethy et GTM TP Est.

 

Contributeur

thibault lescuyer

Structure

test asso

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