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Retour d’expert, Yann Deniaud : les enjeux liés aux digues maritimes
Retour d'expérience
Expert au Cerema sur les ouvrages côtiers de prévention contre les submersions, Yann Deniaud nous éclaire sur les spécificités de la Prévention contre les inondations (« PI ») appliquée au littoral.
Responsable du secteur d'activités Risques Naturels au Cerema, Yann Deniaud coordonne l’ensemble des activités de l’établissement public liées aux risques naturels. Auparavant, il coordonnait plus spécifiquement les activités relatives aux risques et aux aménagements côtiers, avec une spécialisation sur la sécurité des ouvrages hydrauliques.
Yann Deniaud, quel est le rôle et quels sont les objectifs du Cerema, concernant les systèmes d’endiguement ?
Le Cerema est un établissement d’ingénierie et d’expertise publique au service de l’Etat et des Collectivités. A ce titre il a pour objectif d’être un tiers de confiance apportant une expertise neutre et indépendante au bénéfice des politiques publiques. Sur les systèmes d’endiguement et leur sécurité, l’établissement assure un appui technique aux services de contrôle de l’Etat. Il apporte aussi un conseil expert aux collectivités dans leurs démarches d’études ou de travaux. Enfin il contribue également, avec ses partenaires scientifiques et associatifs (INRAE, UGE, ESITC, France Digues, CFBR…), au développement des outils et méthodes utiles à l’amélioration de la sécurité des ouvrages.
Venons-en à la « Prévention contre les inondations ». Quelles sont les principales différences entre la « PI » littorale et la PI fluviale ?
La grande différence, ce sont les conditions hydrauliques. En environnement côtier et littoral, les phénomènes d’agitation et de propagation des vagues depuis le large ont une grande importance. Ils constituent souvent un critère déterminant pour la tenue des ouvrages en front de mer, en raison des chocs mécaniques et des franchissements liées aux vagues. Alors qu’en domaine fluvial la protection s’apprécie sur la base de débits ou de ligne d’eau et tient compte des phénomènes de courants longitudinaux, en domaine maritime sa caractérisation s’appuie principalement sur des couples niveau d’eau/agitation et tient compte des courants et des franchissements des vagues.
Est-ce que cela suppose une approche radicalement différente au niveau des études de dangers (EDD) ?
Non, car le principe fondamental est le même : identifier l’ensemble des ouvrages qui concourent à la protection d’une zone à enjeux et évaluer les caractéristiques et conditions de sécurité du niveau de protection apporté par le système d’endiguement ainsi défini. Bien sûr, les modèles hydrauliques diffèrent entre milieu maritime (propagation de la marée, des vagues et influence du vent et des dépressions) et milieu fluvial (propagation des débits et influence des apports intermédiaires) et les règles de dimensionnement des ouvrages tiennent compte de la spécificité des sollicitations propres à chaque environnement.
Digue de Pourville-sur-Mer
Quelle difficulté cela pose-t-il sur les niveaux de protection ?
La difficulté pour les systèmes d’endiguement littoraux, réside dans l’estimation fiable de ce niveau de protection. Celui-ci intègre les effets combinés du niveau d’eau et de l’agitation de la mer, elle-même issue des houles générées au large et des effets locaux du vent. La profondeur d’eau en pied d’ouvrage détermine les caractéristiques physiques des sollicitations. Or la bathymétrie en avant de l’ouvrage influe directement sur la propagation et la forme des vagues qui en sont la source principale. Plus les ouvrages seront en faible profondeur, plus les vagues incidentes auront été modifiées. En très faible profondeur, la forme des vagues est également limitée par le déferlement ; les conditions d’agitation et de sollicitation des ouvrages s’en trouvent alors totalement transformées. Ces processus sont complexes et restent encore pour partie mal connus ou quantifiés.
La bathymétrie est donc un paramètre clé ?
Oui, la bathymétrie joue un rôle essentiel dans la propagation des houles en faible profondeur et donc sur les sollicitations qui parviennent aux ouvrages. Il est donc toujours intéressant de s’interroger sur la bathymétrie de référence utilisée pour l’évaluation de la sécurité du système d’endiguement, et de suivre les évolutions de la profondeur des fonds. C’est pour cela qu’il convient de surveiller l’évolution des plages sur lesquelles ou à proximité desquelles les ouvrages de protection sont implantés. D’autant, que la réflexion des vagues sur les ouvrages peut conduire à une accélération des mises en mouvement des sédiments et à des variations rapides des fonds.
Digue à Arcachon
Surveiller les plages pour la prévention contre les submersions, pouvez-vous préciser ?
Cela veut dire que des relevés bathymétriques réguliers peuvent être nécessaires pour s’assurer que la morphologie de la plage correspond bien à celle qui a été définie pour un fonctionnement sécuritaire des ouvrages du système d’endiguement. Et si des évolutions défavorables sont constatées, alors il convient soit d’adapter le niveau de protection, soit d’envisager des moyens d’action permettant de rétablir la situation et de revenir au niveau de performance et de sécurité initialement défini. La bonne connaissance du contexte hydro-sédimentaire du site, à l’échelle de la cellule hydro-sédimentaire, permet d’identifier les solutions techniques les plus appropriées : méthodes douces s’appuyant sur les processus naturels, rechargements de plage en matériaux compatibles, adaptation des ouvrages, recul des ouvrages… Dans tous les cas, un suivi régulier, un traitement précoce des désordres constatés lorsque cela est possible, ou une anticipation des situations à risque seront préférables pour éviter un endommagement trop important nécessitant de lourds travaux de reconstruction.
Les digues de protection sur le littoral présentent une certaine diversité : pouvez-vous nous en dire plus sur leur typologie ?
Les ouvrages longitudinaux de défense contre la mer sont de formes et de constitutions très variables. Cela va du simple muret anti-franchissements, jusqu’à l’ouvrage en remblais et enrochements de plusieurs mètres de hauteur, les deux pouvant être combinés. La difficulté de classification de ces ouvrages provient également de leurs multiples fonctions (accès à la mer, circulation, touristique…) et de dénominations parfois locales. Finalement, la position de l’ouvrage, sa géométrie et la topographie d’appui permettent de retenir très schématiquement deux grandes familles : des ouvrages en surélévation qui peuvent s’organiser en système d’endiguement protégeant contre des venues d’eau maritimes, des zones plus basses situées à proximité immédiate dans les terres, et des ouvrages dont l’arase en crête se fond à une topographie au même niveau, et dont la vocation est de maintenir le trait de côte en renforçant la résistance des terres aux sollicitations du milieu maritime. Une troisième famille d’ouvrage longitudinaux est constituée par les brise-lames, implantés en bas d’estran ou en très proche côtier, qui visent à atténuer l’agitation du plan d’eau.
Les ouvrages perpendiculaires à la côte sont également de forme, de longueur et d’usages variés, de la jetée de plusieurs centaines de mètres protégeant de l’agitation le plan d’eau d’un port, aux épis en bois, béton ou enrochements de quelques mètres à dizaines de mètres.
La loi n’a pas prévu de compétence exclusive sur les ouvrages ayant pour unique rôle la protection contre l’érosion
Quel est le rôle des épis : lutter contre l’érosion ou lutter contre les submersions ?
Les épis sont avant tout des ouvrages de lutte contre l’érosion côtière. Ils agissent sur le transport sédimentaire dans l’objectif de fixer les sédiments de la plage afin d’éviter l’érosion côtière et le recul du rivage ou l’abaissement de l’estran. Comme les épis agissent sur le transport sédimentaire longitudinal à la côte, on observe généralement une accumulation de sable d’un côté de l’ouvrage et une reprise de l’érosion de l’autre côté de l’ouvrage. Cela conduit bien souvent à compléter le dispositif par de nouveaux épis pour contrer ces reprises d’érosion. Dès lors la grande question est de savoir où arrêter la protection…Définir la bonne échelle de réflexion et de travail pour déployer une stratégie adaptée et globale de gestion côtière est alors indispensable.
La bonne échelle, c’est la « cellule hydro-sédimentaire » ?
Oui. En fait, il s’agit de délimiter et caractériser une portion du littoral dont le comportement est relativement autonome par rapport aux secteurs adjacents. C’est ce que nous appelons une cellule hydro-sédimentaires, où les phénomènes hydrauliques et les échanges sédimentaires internes et externes peuvent être identifiés, qualifiés et quantifiés. Des stratégies d’aménagement côtières faisant appel aux ouvrages, au rechargement de plages ou à d’autres solutions fondées sur la nature (SFN) peuvent alors y être évaluées, en tenant compte de leurs effets associés sur l’évolution du littoral.
Epi à Saint-Aubin-sur-Mer
Mais les épis peuvent aussi contribuer à la performance d’une digue ?
Clairement, les épis qui sont situés à proximité d’enjeux et d’ouvrages de protection (digues) participent aussi à la bonne performance d’un système d’endiguement, du fait de l’influence directe qu’ils exercent sur les caractéristiques morphologiques et hydrauliques du milieu et ainsi, de manière indirecte, sur les sollicitations et le comportement des digues. Dans ce cas, ils sont à intégrer dans le système d’endiguement autorisé afin d’en garantir la sécurité de fonctionnement.
La gestion des épis sans influence directe sur des ouvrages de protection contre les submersions restera quant à elle du ressort exclusif d’une stratégie de gestion du trait de côte.
La lutte contre l’érosion du littoral ne fait donc pas partie de la Gemapi ?
La définition réglementaire de la compétence Gemapi inclut bien avec son item 5 la « Défense contre la mer », et donc la lutte contre l’érosion. Pour autant, la loi n’a pas prévu de compétence exclusive sur les ouvrages ayant pour unique rôle la protection contre l’érosion ; d’autres acteurs comme les communes au titre de leur compétence générale, peuvent donc se saisir de la gestion de l’érosion littorale. Par ailleurs, l’érosion du littoral est une problématique pour partie inéluctable et inexorable, mais pouvant être anticipée, alors que les submersions sont des phénomènes événementiels, temporaires et périodiques. Les cadres de gestion sont donc différents, mais il est bien sûr essentiel de s’assurer de la cohérence des stratégies et des dispositifs. Sachant qu’aujourd’hui les financements possibles sont variables selon les objectifs et le contexte des ouvrages.
Comment les gestionnaires « Gémapiens » peuvent-ils traiter cette subtilité ?
Ils se sont organisés au départ pour lutter contre les submersions et respecter la réglementation sur la « PI ». Mais aujourd’hui ils sont amenés à s’intéresser à la stratégie globale de gestion côtière et de défense contre la mer englobant « PI » et érosion du littoral. Il faut donc qu’ils s’assurent de la cohérence d’ensemble, sans oublier l’influence des choix sur la qualité des milieux aquatiques littoraux et les usages. Pour les ouvrages, cela nécessite qu’ils identifient clairement les objectifs qui leurs sont assignés !
« La vraie question, c’est celle de la stratégie côtière »
Epi à Courseulles-sur-Mer
A un niveau stratégique, que devraient faire les élus territoriaux ?
La vraie question, c’est celle de la stratégie côtière et donc de se demander : qu’est-ce qu’on veut protéger et contre quoi ? Il s’agit de faire la part des choses entre les zones impactées par les inondations, celles qui sont impactées par le recul du trait de côte et celles qui sont impactées par les deux. Il faut définir les enjeux prioritaires du territoire et à partir de là gérer les deux phénomènes en cohérence. Par exemple, on sait qu’avec le changement climatique, il va forcément y avoir des choses qui devront être déplacées. Les projections les plus classiques d’élévation du niveau marin en 2100 sont proches d’un mètre, mais au vu des trajectoires actuelles nous ne sommes pas à l’abri d’un scénario d’élévation plus élevé atteignant 1m50 ou 1m70. Il y a donc une vraie stratégie d’adaptation du littoral à établir, qui doit prendre en compte à la fois la lutte contre les submersions et la lutte contre l'érosion. Les choix à faire méritent d’être éclairés techniquement, mais ils sont à débattre et à concerter par nos élus.
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Crédits photo :
Yves Brasse (Flickr)
Syndicat des Bassins Versants Saâne Vienne Scie (digue de Pourville)
Communauté de communes Coeur de Nacre (Epis côtiers)
Yann Deniaud (digue d'Arcachon)
Contributeur
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