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Quelle neutralisation pour les digues non inclues dans un système d’endiguement ?
Réglementation
Crédits photos : Montpellier Méditerranée Métropole (Photo 1 : Digue Lantissargues depuis rive gauche ; photo 2 : Digue méjean)
Une partie des anciennes digues actuellement classées pour la protection contre les inondations ne seront pas retenues dans des systèmes d’endiguement. Leur situation réglementaire devra être régularisée. Et les éventuels impacts hydrauliques devront être neutralisés. Eclairage.
Suite à la réglementation sur les digues de 2015 (décret digues n°2015-525 du 12 mai 2015), les intercommunalités (EPCI-FP) ou leur syndicat en charge de la Prévention des Inondations (tout ou partie du « PI » de la compétence Gemapi) doivent définir leurs systèmes d’endiguement (« SE ») et demander une autorisation environnementale aux services de l’Etat pour pouvoir gérer ces ouvrages. Ce chantier technico-politico-administratif implique de faire l’inventaire des rôles hydrauliques de tous les ouvrages contribuant à la protection sur le territoire et de définir les zones qui seront protégées, ainsi qu’un niveau de protection. Avec une conséquence directe : certaines digues ne seront pas intégrées dans les systèmes d’endiguement. Oui mais alors, quel est le devenir de ces ouvrages qui ne seront pas retenus dans un système géré par l’autorité « gémapienne » ? C’est dans le Code de l’environnement que l’on trouve une partie de la réponse : elles doivent être « neutralisées ». De cette obligation découlent des procédures administratives dont la pratique est encore balbutiante. Nous avons demandé l’éclairage de Christine Navarro, juriste en bureau d’étude et le témoignage d’un adhérent de France Digues, déjà confronté à cette problématique : la Métropole de Montpellier.
Ce que dit la Loi
Dès lors qu’une digue préalablement autorisée n’est pas retenue dans un SE par le titulaire de la compétence, le Code de l’environnement prévoit qu’elle doit être neutralisée.
« L'autorisation dont bénéficiait l'ouvrage est réputée caduque. Le titulaire de cette autorisation devenue caduque neutralise l'ouvrage conformément aux dispositions des articles L. 562-8-1 et L. 181-23. » (Article R562-14 du Code de l’environnement).
Attention, signale Christine Navarro, « il s’agit de neutraliser l’éventuel impact hydraulique de la digue, mais pas de neutraliser la digue systématiquement ».
La neutralisation ne veut donc pas dire que l’ouvrage doit disparaître physiquement. C’est l’éventuel impact négatif sur les biens et personnes, qui doit être neutralisé. La digue en tant que telle, si elle a d’autres utilités, peut perdurer.
Neutralisation de digue, ou d’impact ?
Dans la mesure où la notion de neutralisation n’est pas définie dans le Code de l’environnement, il est utile de se tourner vers le guide de France Digues « Mise à disposition d'ouvrages - Transferts et Conventions », qui décrit la neutralisation en ces termes :
« Neutralisation : action physique, si nécessaire, pour supprimer les impacts hydrauliques d’un ouvrage désaffecté de son usage de protection contre les inondations ».
France Digues a par ailleurs sollicité les services de l’Etat pour que cette notion de neutralisation soit clarifiée et recentrée sur la suppression de tout sur-aléa éventuel en cas de défaillance. A suivre !
Action physique de neutralisation
La neutralisation physique désigne une intervention sur l’ouvrage pour supprimer un éventuel sur-aléa (en cas de rupture : aggravation du risque inondation des territoires habités alentours du fait de la présence de l’ouvrage). L’ouvrage est alors mis en transparence hydraulique : par exemple en installant un point de passage pour l’eau dans l’ouvrage, ou via un décaissement total, ou autre solution technique « sur mesure » : brèche(s), arasement, suppression de l’ouvrage, contournement, pont cadre, etc.
Une telle intervention n’est nécessaire que si des études techniques, par exemple les études de dangers ou une étude hydraulique, ont montré l’existence d’un sur-aléa occasionné par l’ouvrage.
Procédure pour une digue communale
Un autre type de neutralisation est nécessaire pour les digues communales : une neutralisation administrative. Explications sur cette seconde notion :
Dans le cas d’une digue qui faisait partie du patrimoine communal et qui n’est pas retenue dans le SE, l’EPCI-FP ou le syndicat qui a bénéficié du transfert automatique de cet ouvrage lors de la prise de compétence, doit effectuer plusieurs procédures administratives en amont pour la « neutraliser administrativement », d’après le Guide « Mise à disposition d'ouvrages - Transferts et Conventions ».
L’EPCI-FP doit renoncer à gérer la digue non retenue dans le système d’endiguement. Deux délibérations doivent être conduites par l’EPCI-FP, l’une de désaffectation et l’autre de déclassement patrimonial.
Désaffectation : il s’agit d’une délibération pour retirer l’ouvrage de son usage de lutte contre les inondations ou les submersions marines (le détacher de la compétence)
Déclassement au sens patrimonial (et non au sens d’un classement de protection A, B ou C) : cette délibération fera sortir l’ouvrage du domaine de l’EPCI-FP. Il retournera dans le domaine de la commune. Ainsi, la digue déclassée n’est plus mise à disposition de l’EPCI-FP par la commune qui récupère l’ouvrage.
Ces deux délibérations doivent être complétées par une demande de cessation d’activité auprès des services de l’Etat (Préfecture). Si la digue était classée, cette demande lui fera perdre le classement de protection (A, B, C).
Premiers retours d’expérience
Quels sont les premiers retours d’expérience sur ces procédures et sur les neutralisations ? D’après Christine Navarro et France Digues, ils seraient encore extrêmement rares, car nombre d’autorités « gémapiennes » sont actuellement concentrées sur la définition des SE : que ce soit les études de dangers, les dossiers d’autorisation des SE ou les travaux d’entretien et de rénovation.
Sur la commune de Lattes (Occitanie), les équipes de Montpellier Méditerranée Métropole en charge de la compétence Gemapi ont pourtant été confrontées à la présence de deux digues classées, dont le rôle hydraulique ne justifiait pas de les incorporer dans les systèmes d’endiguement. Ce premier retour d’expérience montre qu’entre la théorie et la pratique, il y a des adaptations liées aux particularités locales. Et que la situation est parfois très complexe, notamment si la vocation première des ouvrages n’était pas la lutte contre les inondations, ou encore si des réseaux sensibles (ligne à haute tension) sont enterrés à proximité immédiate.
Digue classée C à Lattes
Le long d’un cours d’eau bordée par 2 digues, l’une d’entre elles, longue de 4,8 km n’a pas été incorporée dans le SE déclaré par le gestionnaire. Appartenant à la commune de Lattes et à des propriétaires privés, cette digue avait été classée en 2010 pour la protection contre les inondations, en catégorie C. Les ouvrages de propriété communale ont été transférés à la Métropole en 2018.
Pour autant, cette digue n’avait pas fait l’objet d’une étude de dangers (EDD) jusqu’aux EDD récentes, conduites pour le système d’endiguement de la basse vallée du Lez et de la Mosson. Or ces études ont montré qu’en situation de crue, « la digue surverse et n’a pas d’utilité pour la zone protégée », selon Vivien Nguyen Van, chargé de mission Gemapi à la métropole de Montpellier.
Cette digue illustre donc une situation où il n’y a pas d’impact (sur-aléa) à neutraliser.
Qu’en est-il des procédures administratives ? Jusqu’à présent, les délibérations de renonciation à l’ouvrage (désaffectation et déclassement patrimonial) au sein de la Métropole n’ont pas été réalisées. Ces démarches permettront à la Métropole de renoncer à la gestion de l’ouvrage et donc de se défaire de sa responsabilité liée. Si elles sont conduites, elles devront prendre en compte la multi-propriété de la digue.
La demande de cessation d’activité de la digue aux services de l’Etat (le déclassement au sens de la PI), n’a pas non plus été effectuée jusqu’à présent. Dans quelle mesure l’arrêté de janvier 2020 autorisant le système d’endiguement de la basse vallée du Lez et de la Mosson est-il suffisant ? Le fait que cet arrêté (article 35) abroge l’arrêté de 2010 qui classait la digue, suffirait-il ? Ce point serait à vérifier avec des juristes, car la cessation d’activité est une procédure de droit commun qui semble toutefois être un passage obligatoire.
Le cas de la digue de Méjean
Située à 8 km de Montpellier, au bord de l’étang lagunaire du Méjean sur la commune de Lattes, la digue du Méjean est la seconde digue classée que la Métropole de Montpellier a décidé de ne pas inclure dans un de ses systèmes d’endiguement. Le propriétaire de cet ouvrage est le Conservatoire du Littoral qui avait délégué sa gestion à la commune de Lattes bien avant la loi MAPTAM. Suite à l’instauration de la compétence GEMAPI et son transfert aux EPCI, c’est Montpellier Méditerranée Métropole qui en a hérité la gestion.
La digue du Méjean est située en zone NATURA2000, ce qui limite son entretien. Aussi la digue est actuellement recouverte d’une végétation dense à préserver. C’est pourquoi, en 2017, le Conservatoire du Littoral a adressé une demande de cessation d’activité – ou « demande de déclassement » - aux services de l’Etat. Ces derniers ont émis un avis défavorable car l’étude de danger démontrait que la digue protégeait une trentaine de personnes. En tant que Gémapien et gestionnaire de l’ouvrage, la Métropole de Montpellier a entrepris une révision de l’EDD qui permis au Conservatoire du Littoral de réitérer sa demande de déclassement en en 2019.
Lorsqu’elle a été construite, peut-être après-guerre, cette digue en remblai devait faire barrage anti-sel et protéger la commune de Lattes. C’est en 2010 qu’un arrêté préfectoral l’a classée au titre de la protection contre les inondations, en catégorie C, en même temps que les autres digues du secteur. Cet arrêté identifiait comme propriétaires le Conservatoire du Littoral et la commune de Lattes. C’est au cours du processus de création de la Métropole de Montpellier (MAPTAM) et en préparation de l’instauration de la GEMAPI que l’EPCI a rapidement souhaité poursuivre le travail sur le déclassement de la digue du Méjean.
Une étude complémentaire demandée
« Les services de l’Etat nous ont alors demandé de refaire une étude de dangers, pour attester que la digue de Méjean n’avait pas d’intérêt de protection. L’étude a montré qu’elle ne protégeait pas plus de 25 personnes, saisonniers inclus » explique Vivien Nguyen Van. Pas suffisant aux yeux des élus pour justifier une intégration dans un système d’endiguement, et donc une gestion par l’EPCI-FP.
C’est sur la base de cette seconde étude que le conservatoire du Littoral a réitéré la demande de déclassement aux services de l’Etat (DDTM) en 2019.
Cette demande de déclassement s’appuie sur la mise à jour de l’EDD. Elle précise que la digue « serait toutefois à conserver en l'état pour le bénéfice qu'elle apporte dans la gestion de la salinité de l'espace naturel du Méjean, pour son rôle de voie de circulation et pour conserver la ligne électrique à haute tension qui y est enfouie ».
Hasard du calendrier, la demande de déclassement a été envoyée 5 jours avant la parution du décret du 28 août 2019 apportant diverses modifications au décret « digues » de 2015. Or ce dernier ayant modifié les critères de classement des digues, considérant ainsi qu’une digue existante peut être classée C dès lors qu’elle protège au moins 1 personne, le Préfet a refusé la demande de déclassement et demandé au gestionnaire de réviser l’étude de dangers afin de « démontrer qu’aucune habitation ne se situe dans la zone protégée par la digue » Démonstration qui s’avère compliquée, voire impossible au regard de la dernière EDD.
A ce jour aucune étude hydraulique supplémentaire n’a été lancée. Le gestionnaire demandera donc une prolongation du délai pour une éventuelle régularisation de la digue du Méjean en système d’endiguement et travaillera à apporter aux services de l’Etat les justifications demandées. En effet, il faudra soit régulariser en SE, soit apporter les preuves qu’il n’y a pas suraléa et que la zone habitée n’est pas mise en danger par une éventuelle rupture de l’ouvrage s’il est maintenu en l’état, soit proposer des solutions de neutralisation de ce sur-aléa.
France Digues s’est également mobilisée et a sollicité le ministère pour que soit mis un cadre souple de type déclaratif permettant la gestion des ouvrages contribuant à la protection des biens et personnes sans sur-aléa.
Où s’arrêtent les obligations des EPCI-FP
Quelles conclusions et préconisations tirer de ces premiers retours d’expérience ?
Premier enseignement, l’importance des EDD. Ces études, servant à définir et à déclarer administrativement les systèmes d’endiguement, peuvent permettre aussi de justifier si les anciennes digues classées, non retenues dans les systèmes, doivent faire l’objet ou non d’une neutralisation hydraulique.
Par contre, si les EDD ne le précisent pas, une étude supplémentaire pourrait être demandée par les services de l’Etat (simple étude hydraulique).
Autre élément intéressant, les EPCI-FP compétentes peuvent avoir un rôle d’accompagnement auprès des propriétaires de ces digues. « Les EPCI-FP ne doivent neutraliser que les ouvrages mis à leur disposition, mais elles ont un devoir d’alerte vis-à-vis des propriétaires privés d’ouvrages conçus pour la protection contre les inondations qui ne seraient pas intégrés à un SE, et dont les impacts doivent être neutralisés », estime Christine Navarro.
Les propriétaires privés d’un ouvrage qui n’est pas intégré dans un système d’endiguement et qui voudraient le maintenir, par exemple en tant que remblai agricole, devront le faire à leur frais, tout en respectant les prescriptions de la Loi sur l’Eau.
Un article de Thibault LESCUYER pour France Digues.
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