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Prévision des submersions : Vers des échelles plus locales
Article de journal

Dans les Hauts-de-France et au Pays Basque, des nouveaux dispositifs de modélisation des submersions marines se mettent en place. Les gestionnaires d’endiguement font partie des futurs utilisateurs.
Le 10 décembre 2024, le Pôle métropolitain Côte d'Opale (PMCO), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et Suez Eau France ont annoncé un partenariat autour d’un nouveau projet de recherche appliquée, «SIRENES », qui pourrait déboucher sur un outil de prévision localisée des tempêtes, pensé à l’échelle de tout le littoral des Hauts-de-France. Ce projet est doté d’un budget conséquent, 3,8 millions d’euros, dont 30% provenant de l’Europe et 50% de l’Etat via le fonds « Barnier ». Il s’inspire notamment d’outils développés sur le Bassin d’Arcachon par le BRGM et sur le Pays Basque par Suez. Il s’agit de compléter le dispositif national de Météo France, Vigilance Vagues Submersion (VVS), pour permettre aux élus de mieux aborder la « gestion de crise » en situation de tempête. « La résolution des modèles nationaux pour la propagation des vagues et des surcotes repose actuellement sur une maille de 200 à 500 mètres, qui ne permet pas de prendre en compte tout le détail de la morphologie de la côte ni de calculer la submersion marine à terre », explique Sophie Lecacheux, ingénieure et chef de projet risques littoraux au BRGM et co-pilote de la feuille de route submersion marine de la DGPR. L’idée est donc de descendre en échelle de modélisation.
Grand linéaire et petite échelle
« Une des originalités du projet, c’est son portage par le PMCO, qui permet de penser le système pour tous les acteurs de la gestion de crise à une échelle régionale », poursuit la chercheuse. Sur les 200 km de côte, une centaine de tronçons feront l’objet de prévisions d’indicateurs d’impact, à la fois pour la submersion et l’érosion. Un second volet du projet ciblera huit zones à fort enjeu, pour lesquelles l’emprise des zones inondées en situation de tempête sera modélisée. Cette amplitude géographique tranche avec les systèmes de prévision locaux développés En Nouvelle Aquitaine. Portés par des intercommunalités ou des communes, ceux-là ciblent des portions de littoral beaucoup plus restreintes. Mais les approches se rejoignent sur l’échelle des modélisations, pensée pour permettre une aide à la décision à l’échelle d’une plage ou d’un endiguement.
Pays Basque, territoire précurseur
Depuis 2017, la Ville de Biarritz se prépare aux tempêtes grâce à un service local de gestion prédictive dont certains dispositifs inspirent le projet Sirènes. Concrètement à Biarritz un dispositif de vidéométrie côtière infrarouge est installé devant la Grande Plage, où il filme les vagues à très haute fréquence. Ces données acquises jour et nuit servent à surveiller l’impact des vagues sur le littoral urbanisé et à alimenter le développement des modèles prédictifs de l’impact des tempêtes. La résolution des modélisations est « à une échelle fine pouvant aller jusqu’au mètre » explique Matthias Delpey, docteur en océanographie et responsable des services sur les risques côtiers au centre Rivages Pro Tech de Suez. Les observations nourrissent une modélisation qui alimente un système d’aide à la décision. Les équipes de la ville sont ainsi mieux guidées, selon Matthias Delpey, pour choisir les modalités de lutte contre les vagues en situation de tempête : interdiction d’accès, déploiement de protections mobiles, reprofilage de la plage…
Le « service de gestion prédictive », opéré par le centre Rivages Pro Tech, découle en partie des projets de recherche Marea (2016-2019) et Marlit (2019-2022), menés en collaboration avec l’Université de Pau et Pays de l’Adour (laboratoire SIAME) et le centre technologique espagnol AZTI. Ce type d’approches est actuellement en cours de développement à Saint-Jean-de Luz et Anglet, dans le cadre des projets de recherche européen « Regions4Climate » et Copernicus « SafeBeach », en partenariat avec la Communauté d’Agglomération du Pays Basque et le laboratoire de recherche commun Kostarik.
Modélisation des vagues à Biarritz (crédit : laboratoire Kostarik)
Dispositifs techniques
Conçu pour le littoral des Hauts-de-France, le projet Sirènes utilisera localement le même type de caméras infra-rouge haute fréquence que celles déployées à Biarritz, pour l’acquisition des données sur plusieurs sites à franchissements de paquets de mer (Mers - Le Tréport, Wissant et Wimereux). Des caméras plus légères (« solarcam ») serviront en parallèle au suivi de l’évolution du trait de côte suite aux tempêtes. Ces dispositifs d’observation devraient permettre une meilleure surveillance des sites, en temps réel et fourniront des données de validation pour les modèles prédictifs. Ces modèles seront quant à eux basés sur une combinaison d’approches paramétriques, de modélisation numériques et de techniques d’intelligence artificielle.
Intelligence artificielle
Sur les huit sites locaux, le projet ne prévoit pas d’opérer un modèle numérique de submersion marine en temps réel, mais « la réalisation d’un atlas de plusieurs centaines de simulations représentatives de la gamme des possibles », ajoute Sophie Lecacheux. « La base de données servira à faire de l’apprentissage avec les techniques de machine learning issues de l’intelligence artificielle, pour ensuite effectuer la prévision de submersion, sans refaire tourner un modèle numérique ».
Systèmes d’endiguement
La composante régionale de la modélisation permettra aussi de gagner en précision sur les prévisions des niveaux marins impactant les ouvrages des systèmes d’endiguement. « Pour déclencher les protocoles de surveillance des ouvrages en période de tempête, un certain nombre d’intercommunalités se basent aujourd’hui sur des critères associés à des niveaux marins prédits. Or, les modèles nationaux ne prennent pas en compte toutes les composantes de la surcote, notamment celle liée au déferlement des vagues», détaille la chercheuse. Le Prijet Sirènes vise une descente d’échelle, qui prendra en compte et complètera les modélisations existantes. Avec des prévisions plus localisées, les gestionnaires d’ouvrages « pourront avoir des éléments pour préciser les dépassements et le risque d’atteinte des niveaux de protection ».
Les élus locaux, que ce soient les maires en charge des Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) ou les élus des intercommunalités en charge de la prévention des submersions, devraient donc être les premiers bénéficiaires de ces nouvelles prévisions locales. « En tant qu’élus, nous sommes demandeurs de ces outils d’alerte. SIRENES est un programme ambitieux. L’espoir, c’est qu’il soit utile pour les maires et pour les intercommunalités du PMCO, y compris les plus petites », estime le maire de Gravelines Bertrand Ringot, aussi vice-président du PMCO. Une fois développé et validé, le projet devrait déboucher sur des services opérationnels pérennes de prévision locale. Sur ce point, les modèles économiques restent à définir.
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Crédits photo : Centre Rivages Pro Tech et Kostarik
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