Actualités
Maîtriser le foncier des digues, comment faire ?
Article de journal
Pour faire autoriser administrativement leurs systèmes d’endiguement, les intercommunalités ou leurs groupements doivent obtenir la « maîtrise foncière » des ouvrages de prévention des inondations, pour garantir qu’ils puissent y intervenir et ainsi exercer réellement la compétence GEMAPI. Plusieurs solutions juridiques existent, dont les servitudes d’utilité publique « MAPTAM » pour les terrains privés.
Juin 2024, sur le bassin versant des Gardons, dans le Gard. « Nous avons obtenu toutes les autorisations pour nos huit systèmes d’endiguement et aménagements hydrauliques, c’est la fin d’un long processus démarré en 2017 », indique, soulagé, Etienne Retailleau, directeur adjoint de l’Etablissement Public Territorial de Bassin (EPTB) Gardons. Parmi les derniers arrêtés préfectoraux obtenus, l’un d’entre eux complète l’autorisation du système d’endiguement de Comps, en instituant une Servitude d’Utilité Publique (SUP) dite MAPTAM. L’arrêté pour la servitude a été signé presque au même moment que l’autorisation du Système d’Endiguement. « J’ai pu envoyer à la DDTM [Direction départementale des territoires et de la mer] l’arrêté de servitude et il ne reste plus que sa publication sur le nouveau géoportail de l’urbanisme (1), pour qu’il entre en application », se réjouit-il.
Servitude d’Utilité Publique MAPTAM ? Instituée par la Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) de 2014, ce dispositif juridique permet aux gestionnaires de systèmes d’endiguement de disposer de la « maîtrise foncière » des ouvrages situés en partie sur des terrains privés (2). Suivant les cas, la servitude porte sur les terrains d’assiette (d’emprise) des digues, sur les terrains d’accès aux ouvrages, voir sur les ouvrages eux-même.
Zoom sur les terrains
Notre article se focalise sur la problématique des terrains privés. Le plus souvent, ce sont des bouts de jardin, des terrains agricoles ou industriels qui s’étendent jusqu’au pied ou parements d’une digue. Dans le département du Gard, l’EPTB est le premier établissement « gémapien » à avoir mis en place une servitude pour un terrain privé. « Les servitudes MAPTAM sont pour l’instant nouvelles et peu nombreuses en France », remarque Christine Navarro, juriste spécialisée au sein du cabinet Espelia. Ces dernières années, la priorité des gestionnaires sur le plan technico-administratif était de finaliser les dossiers d’autorisation et dans ce cadre, il suffisait d’apporter la preuve que les procédures pour obtenir la maîtrise foncière étaient lancées. Désormais, il leur faut finaliser les volets fonciers.
Tronçon de digue située sur une parcelle privée (crédit : EPTB Gardons)
Maîtrise foncière sur parcelles privées
En matière de digues comme partout, il y a le monde idéal, et la réalité. « Si tout avait été bien fait dans le passé, on aurait récupéré la maîtrise foncière des ouvrages en même temps que le transfert de gestion », explique Etienne Retailleau. Mais les aléas de l’histoire, même récente, font que les autorités gémapiennes ont récupéré en gestion des portions d’ouvrages situés à cheval sur des parcelles privées, sans avoir les droits d’accès. Or la réglementation est formelle : les gestionnaires d’ouvrages de prévention des Inondations (PI) doivent justifier qu’ils ont la maîtrise foncière, à la fois pour pouvoir accéder physiquement aux ouvrages, pour la surveillance réglementaire de leur (bon) état et pour leur entretien, débroussaillage ou effectuer des travaux. Cette maîtrise foncière s’ajoute à la maîtrise foncière de l’ouvrage lui-même.
Quatre solutions existent : l’acquisition par vente (du terrain d’assise ou d’accès), l’expropriation, l’établissement d’une convention notariée de droit privé ou la nouvelle servitude d’utilité publique MAPTAM.
« Lors des dépôts des demandes d’autorisation pour les systèmes d’endiguement, les gestionnaires doivent au minimum prouver qu’ils ont lancé une procédure pour disposer de cette maîtrise foncière », explique Christine Navarro. Et les procédures devront avoir abouti à une maîtrise foncière totale du système, en théorie, avant la signature de l’arrêté préfectoral d’autorisation - sauf cas dérogatoire (Voir la note 3). Pour les ouvrages situés en partie sur des parcelles privées ou dont l’inspection implique un passage sur une parcelle privée, quatre solutions existent : l’acquisition du terrain d’assise ou d’accès qui peut se faire par une vente ou par expropriation, l’établissement d’une convention notariée de droit privé (appelée parfois « convention amiable ») ou la nouvelle servitude d’utilité publique MAPTAM.
Dispositifs juridiques pour obtenir la maîtrise foncière (MF) :
Tableau de synthèse France Digues (mai 2024) - Cet article se focalise sur les terrains d’assiette
ou d’accès qui font partie de propriétés privées
Acquisition si possible
Pour les terrains d’assise des ouvrages, « l’acquisition à l’amiable, c’est le mode qu’on préfère et c’est le plus simple », estime Etienne Retailleau. Mais cette solution n’est pas toujours simple, ni possible. Rien n’oblige les propriétaires à accepter de vendre. « Les gens parfois disent oui, puis non, ils ne sont plus disponibles, ou bien il y a quelque chose qui ne leur va plus et le processus d’achat bloque ». En outre, l’acquisition et l’expropriation ne sont pas adaptées s’il y a un nombre élevé de parcelles ou des parcelles de très grande taille. A Dunkerque, par exemple, où deux arrêtés de servitude ont été établis en même temps (août 2022) pour les deux systèmes d’endiguement du chenal de l’Aa, la surface totale d’accès sur une des parcelles privées dépasse 200.000 m2 (surface mentionnée dans l’arrêté). Il s’agit ici d’un terrain agricole, sans projet d’acquisition de la part de la CUD. Et sur l’autre rive, plus de 100 propriétaires sont concernés. Dans de telles situations, la Servitude MAPTAM semble la meilleure solution.
Servitude MAPTAM : l’utilité publique
Les servitudes d’utilité publique (SUP) MAPTAM sont « des limitations administratives au droit de propriété (…) instituées au bénéfice de personnes publiques, de concessionnaires de services publics ou de travaux publics, de personnes privées exerçant une activité d'intérêt général », d’après une note de la DREAL de Nouvelle Aquitaine sur le sujet (4).
« Contrairement aux servitudes de droit privé comme les servitudes d’écoulement ou de tréfond dont le régime juridique est inscrit au code civil, le régime juridique des SUP MAPTAM est inscrit au code de l’environnement », ajoute Christine Navarro. Elles permettent de grever les terrains privés d’un droit d’accès et de travaux sans permission du propriétaire privé. Elles traduisent l’intérêt général de la protection contre les inondations ou les submersions marines.
Parcelle agricole incluse dans une SUP Maptam (crédit photo : Communauté urbaine de Dunkerque)
Avantages et inconvénients
Ces SUP sont particulièrement intéressantes quand le gestionnaire du système d’endiguement a besoin d’accéder à un grand nombre de parcelles privées.
« Quitte à faire une procédure, autant en faire une pour tous. L’avantage de la SUP MAPTAM, c’est qu’un seul arrêté préfectoral suffit à instaurer les servitudes pour toutes les parcelles privées d’un même système d’endiguement », explique Etienne Retailleau. L’EPTB Gardons a décidé d’y recourir en 2022, afin d’officialiser ses droits d’accès et d’entretien aux pieds de digues, pour un linéaire touchant une dizaine de propriétés, où il lui semblait, pour certaines, compliqué d’obtenir un accord de droit privé.
Un seul arrêté préfectoral pour plusieurs propriétaires, pas de signature parcelle par parcelle, une pérennité de la maîtrise foncière si le propriétaire change, tels sont les principaux avantages de la SUP MAPTAM. Côté inconvénients, l’établissement de ces servitudes implique le dépôt et l’instruction d’un dossier en préfecture, ainsi que des procédures d’enquête parcellaire et d’enquête publique, comme dans le cas d’une Déclaration d’Utilité Publique pour expropriation. Ces procédures demandent du temps et des moyens, ainsi qu'un effort de pédagogie en amont pour bien expliquer en quoi consiste une SUP. A Dunkerque, il a fallu un an, à partir de la décision de recourir à une SUP MAPTAM, pour obtenir les deux arrêtés de servitude. Deux ans, pour la première SUP gardoise (14 parcelles), qui a coûté 10.000 euros.
Enquêtes parcellaires et publiques
L’enquête parcellaire représente une procédure minutieuse, notamment auprès du service de publicité foncière. « Il faut constituer la liste des propriétaires de manière exacte ainsi qu’un plan parcellaire », témoigne Etienne Retailleau. Une non-exactitude pourrait entraîner un recours ou une contestation, si un vice de forme est constaté. Quant à l’enquête publique, elle implique la désignation d’un commissaire enquêteur et le respect de plusieurs étapes, dont la participation du public. Un autre facteur peut générer des délais, la nouveauté. « Les services de l’Etat ne sont pas encore familiers des SUP MAPTAM, certains les associent au code de l’urbanisme » observe Christine Navarro. Cette méconnaissance devrait logiquement s’estomper au fil du temps.
A noter que les servitudes Maptam (celles que nous avons pu consulter) peuvent différencier les parcelles soumises à une servitude d’accès de celles qui sont soumises à une « servitude de surveillance et de travaux » (Dunkerque), ces dernières étant aussi appelées « servitude d’ouvrages » (Gardons). Une même parcelle peut être soumise à la fois à une servitude d’accès et à une servitude de travaux.
Article L566-12-2 du code de l’environnement sur les servitudes dites SUP MAPTAM : "Ces servitudes peuvent avoir un ou plusieurs des objets suivants : 1° Assurer la conservation des ouvrages existants construits en vue de prévenir les inondations et les submersions ; 2° Réaliser des ouvrages complémentaires ; 3° Effectuer les aménagements nécessaires à l'adaptation des ouvrages et des infrastructures qui contribuent à la prévention des inondations et des submersions ; 4° Maintenir ces ouvrages ou les aménagements effectués sur les ouvrages et les infrastructures en bon état de fonctionnement ; 5° Entretenir les berges." |
Servitude de droit privé : pour aller vite
Jusqu’à deux ans et peut-être plus si l’enquête publique pour la servitude MAPTAM déclenchait des contestations. Afin d’aller plus vite, une servitude de droit privé peut-elle être une solution plus efficace ? Cette option a été retenue par l’EPTB Gardons pour une parcelle unique d’assez grande taille.
« On s’est mis d’accord avec le propriétaire sur une convention, qu’on a convertie en servitude. La servitude permet de garantir l’accès à l’EPTB et de son côté le propriétaire garantit de ne pas porter atteinte à l’ouvrage » explique Etienne Retailleau. Pour le propriétaire, « c’est assez contraignant, mais en même temps il bénéficie de la digue et l’un dans l’autre, on trouve un intérêt commun. Cela nous a permis de régler le problème foncier assez rapidement ».
Cette modalité juridique doit être entérinée devant notaire, pour être inscrite au registre des services de la publicité foncière et perdurer en cas de revente de la parcelle (droit réel). A Alès, sa mise en place a pris 7 mois, selon le directeur adjoint de l’EPTB et coûté 700 euros. Bien moins que la servitude d’utilité publique. Il reste une part d’incertitude juridique sur la solidité de ces conventions. « En tant que personne publique agissant pour un service d’utilité publique, le gestionnaire du système d’endiguement devrait théoriquement utiliser une servitude d’utilité publique Maptam », remarque Christine Navarro. Aucune jurisprudence n’a remis en question une servitude de droit privé dédiée à la PI. Actuellement, ce dispositif est considéré par les services de l’Etat comme tout à fait envisageable. Il fait partie de la boite à outils décrite par la Dreal Nouvelle Aquitaine :
La « convention libre notariée entre les parties » doit « préciser que les services de l’État ont un accès aux ouvrages en toute circonstance et à tout moment pour les besoins du contrôle dans les conditions prévues par les articles L.171-1 et L.172-5 du code de l’environnement. Cette convention doit être notariée et sans délai de caducité afin d’assurer la maîtrise foncière à l’autorité gémapienne en toute circonstance (vente du terrain, succession, changement d’avis du propriétaire) » (note de la Dreal Nouvelle Aquitaine, 5 mai 2023).
Endiguement avec un terrain d'accès privé (crédit photo : CISALB)
Convention sans notaire : en attendant mieux ?
Ni servitude d’utilité publique, ni convention notariée. En Savoie, le syndicat mixte du Lac du Bourget, le CISALB a effectué un choix assez singulier pour la maîtrise du foncier de ses ouvrages PI, en signant des conventions simples de droit personnel, sans passer par un notaire. « Nous avons signé environ 280 conventions et nous venons d’envoyer 63 courriers pour nos systèmes de classe C », expliquait fin juin (2024) Christophe Guay, Responsable du pôle prévention des inondations au CISALB. Cette procédure résulte d’un choix fait en 2018. A cette époque, ni l’acquisition ni l’expropriation ne semblaient réalistes du fait du grand nombre de parcelles et quant à la SUP-MAPTAM, « elle semblait une procédure lourde et coûteuse. Surtout, nous étions encore au stade de la mise à plat du parc d’ouvrages sur le territoire… Nous avons voulu attendre d’avoir une vision fine et globale du parc pour lancer une procédure unique SUP MAPTAM. Et dans l’intervalle, l’idée de conventionner est apparue comme la meilleure solution ».
Le syndicat mixte a contacté tous les riverains par courrier (lettre recommandée), pour leur proposer l’acquisition des bouts de parcelles ou la signature d’une convention qui autoriserait l’accès au Cisalb, tout en interdisant les plantations arborées. Tous ont accepté la convention. « J’ai eu dix demandes de rendez-vous », explique Christophe Guay. Et un seul accord pour vendre.
Cette solution sans passage notarié, ce n’est pas la panacée, y compris pour les services de l’Etat, reconnaît Christophe Guay, mais elle a rempli deux objectifs : lancer la démarche de maîtrise foncière demandée par la réglementation et sensibiliser les habitants. Aujourd’hui, le Cisalb se dit en mesure de passer plus efficacement à une SUP MAPTAM, grâce à la première étape. « Nous avons une parfaite connaissance exhaustive du foncier concerné par nos ouvrages (B et C) et les personnes concernées sont déjà informées, de fait, de l’implication de leurs terrains dans la gestion des digues par la convention ».
Questions SUP…plémentaires
Si la SUP MAPTAM semble donc la solution pérenne la plus adaptée quand il y a un grand nombre de propriétaires, elle reste un dispositif encore jeune, sans jurisprudence. Plusieurs questions restent ouvertes.
La première concerne les Déclarations d’utilité publique (DUP) : pour effectuer des travaux substantiels sur des ouvrages existants, faut-il une DUP si on a une SUP en place ? A priori non, observe France Digues, mais ce point n’a pas fait l’objet d’une réponse officielle des services de l’Etat.
Une autre question, signalée par Christine Navarro, concerne la nature des travaux que la SUP MAPTAM rend possibles. Jusqu’où une SUP permet-elle d’aller ? Permet-elle de démolir et de reconstruire un ouvrage à l’identique ? La question s’est posée récemment à la métropole de Bordeaux. A priori non, les retours de la DGPR (Direction Générale de la Prevention des Risques) lors du Q&R du webinaire concernant la SUP MAPTAM ne laissent, a priori, pas autant de souplesse (CF plus bas).
Une troisième question concerne le niveau de détails à insérer dans le texte de la servitude. « Plus l’arrêté de servitude est détaillé sur les conditions d’accès aux parcelles et sur la gestion de la végétation, mieux c’est », conseille la juriste. A titre d’exemple, sur un territoire agricole une SUP stipule que des barbelés seront supprimés, pour faciliter l’accès aux agents du syndicat ou que les clés des portillons de clôtures doivent être disponibles. Pour que ce niveau de détails ne donne pas lieu à une levée de boucliers lors de l’enquête publique, il faut au minimum un dialogue préalable avec les parties intéressées et encore mieux, une bonne dose de confiance.
Pour garantir cette maîtrise foncière, « Une des clés, c’est la concertation », estime Etienne Retailleau.
Thibault Lescuyer.
---
Notes :
1. Tant que cette fonctionnalité sur le géoportail n’est pas en place, les arrêtés de servitude MAPTAM doivent être annexés aux PLU pour qu’ils entrent en application.
2. On ne parle pas dans l'article, des ouvrages multifonctionnels, tels que des tronçons de routes départementales construits sur des digues ou des digues de barrage hydro-électrique. Pour ces ouvrages spécifiques, des conventions spécifiques (de mise à disposition ou de superposition d’affectation) sont nécessaires. Voir notre article sur ces conventions.
3. Un dispositif dérogatoire à la maitrise foncière totale est possible sous conditions, pour des ouvrages existants, conformément à la note DGALN - DGPR de juin 2022 (item 2.2.4.). Cette dérogation vise à ne pas retarder certaines régularisations en procédure simplifiée. Elle ne concerne que des systèmes d’endiguement pour lesquels la maîtrise foncière est acquise sur ses parties essentielles. La non finalisation des procédures de maîtrise foncière, au moment de la signature de l’arrêté d’autorisation, ne peut donc concerner que des parties non essentielles et dites « passives » du système. Les détails des conditions figurent dans la note DGALN - DGPR de juin 2022.
4. Note relative a la maîtrise foncière des ouvrages de protection contre les inondations. Mai 2023.
----
Pour approfondir :
Exemple d'arrêté de servitude MAPTAM (Communauté urbaine de Dunkerque)
Note DGALN-DGPR : Modalités de prise en compte de la maîtrise du foncier dans le cadre de la rubrique IOTA 3.2.6.0
Web'Tech : La servitude MAPTAM
Et surtout un Q & R très riche issu de ce Webinaire
Contributeur
Structure
Licence
Ces informations sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
Commenter
S'inscrire ou se connecter pour laisser un commentaire.