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Erosion et submersion, vers une "Gemapi" plus intégrée

Article de journal


illustration Erosion et submersion, vers une "Gemapi" plus intégrée

Les deux risques côtiers peuvent nécessiter une gestion combinée sur des secteurs où ils interagissent avec les ouvrages de protection. Les services Gemapi et les directions du littoral des intercommunalités sont en première ligne. Et doivent jongler entre les outils de planification et de cofinancement.

L’érosion du littoral suscite des discussions complexes autour des recompositions spatiales et de l’articulation entre une gestion dite « souple »  ou « en dur » du trait de côte, ainsi que sur les modalités de financements pour les communes. Celles-ci font l’objet de débats politiques, à l’instar des interrogations soulevées par la députée de la Gironde Sophie Panonacle et plus récemment, des recommandations émises par la Cour des Comptes pour l’aménagement du littoral méditerranéen face aux risques côtiers. Dans les intercommunalités littorales, l’érosion fait bouger d’autres lignes, celles des services Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations). En charge de la prévention des submersions, les équipes dites « gémapiennes » sont en effet de plus en plus amenées à s’intéresser à l’érosion et aux interactions entre les deux risques. Exemples en Bretagne et Nouvelle-Aquitaine.

Gemapi en Finistère
Sur le littoral sud finistérien, la communauté de communes du pays Bigouden Sud (CCPBS) a pris la compétence Gemapi en 2018. “Une de nos premières actions de Prévention des Inondations (PI) a été d’identifier les secteurs à enjeux qui croisaient les risque d’érosion et de submersion. Nous en avions identifié quatre sur l’intercommunalité”, explique Guillaume Esteva-Kermel, en charge des risques littoraux. Ce sont des secteurs où sont présents des cordons dunaires voisins d’ouvrages en dur, comme à Tréffiagat et Combrit Tudy. Dans la foulée, les études de dangers et les choix des élus ont conduit à définir six systèmes d’endiguement, que le bloc communal gère aujourd’hui lui-même. La plupart étaient en cours de régularisation début 2025. Parallèlement, la com’com a lancé une étude de cartographie prospective du retrait du trait de côte sur toute sa façade maritime, avec des projections à 0-30 ans et 30-100 ans conformément aux orientations de la Loi Climat et Résilience. Cette décision impacte le travail de Guillaume Esteva-Kermel, qui pilote l’étude de cartographie en collaboration avec le service urbanisme. « J’étais essentiellement sur la problématique submersion, on a élargi mon poste à la thématique érosion». Face à la charge de travail et aux travaux planifiés via le PAPI du Sud Finistère, l’agent territorial bénéficie depuis janvier 2025 du renfort d’un collègue provenant d’un autre service, désormais à 40% de son temps sur les systèmes d’endiguements et ouvrages de protection côtière. Un renfort précieux. Quant au PAPI, son animation générale est portée par la communauté de communes voisine du Pays Fouesnantais, mais les action propres à la CCPBS sont pilotées directement par l’intercommunalité du pays Bigouden Sud.

 


Plage du Ster, Penmarch (crédit : CCPBS)

 

PI scindée au Pays Basque
Bien plus au sud à la communauté d’agglomération du Pays Basque, la compétence « PI » est répartie entre une équipe inondations fluviales et une équipe en charge des risques côtiers. « Nous avons dissocié les deux parce que sur le littoral il n’y a pas que les risques côtiers, il y a d’autres enjeux en lien avec l’aménagement, la qualité de l’eau… Et les acteurs ne sont pas les mêmes », explique Caroline Sarrade, directrice de l’unité Littoral et Milieux Naturels. Au sein de l’unité, trois personnes travaillent sur les risques côtiers, dont l’une sur l’érosion et l’autre sur les submersions. Ici il n’y a pas de PAPI pour encadrer la gestion des deux systèmes d’endiguement côtiers, qui sont tous deux en cours de régularisation (début 2025]. L’intercommunalité pilote une stratégie de gestion des risques côtiers depuis plus de 10 ans, qui fait la part belle à la lutte contre l’érosion.

Financements PAPI, SLGBC et PPA
Les Programmes PAPI labélisés sont des “Sésame” qui permettent d’accéder au cofinancement de l’Etat (Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs  dit “Fonds Barnier”) pour des travaux contre les inondations ou les submersions, ainsi que pour des projets de relocalisations (rachats fonciers). Par contre, l’Etat interdit leur utilisation pour des opérations liées à l’érosion, ce qui pousse les intercommunalités à mobiliser d’autres outils.

Inspiré des PAPI, les 14 stratégies locales de gestion des bandes côtières (SLGBC) élaborées en Nouvelle-Aquitaine permettent de planifier les actions (y compris études et sensibilisation) pour affronter le risque érosif tout en facilitant la recherche des financements, en s’appuyant sur des Analyses Coût Bénéfice. « La principale source de financement des stratégies de première génération, ce sont les fonds européens FEDER et la région, devant l’auto-financement», explique Gaël Perrochon, chargé de mission au GIP Littoral. 80% des financements concernent des modes de gestion. « Le volet travaux combine la lutte active souple (rechargements de sable, plantations d’oyats et autres Solutions Fondées sur la Nature…) et la lutte active dure, qui concerne l’entretien des ouvrages de type enrochements, épis ou perrés ». Au total 30 millions d’euros ont ainsi été mobilisés pour les 8 premières stratégies, dont 47% ont été consacrés à la lutte active dure et 32% à la lutte active souple.

Stratégies SLGBC en Nouvelle-Aquitaine, octobre 2024 (carte GIP Littoral)

 

Portage par les intercommunalités
Initialement, ces stratégies étaient portées par les communes, mais « avec l’introduction de la GEMAPI, les stratégies en Nouvelle-Aquitaine sont maintenant portées par les intercommunalités», explique Gaël Perrochon. A cette échelle intercommunale, les logiques d’arbitrage évoluent. «A l’échelle des communes, on avait tendance à prendre tout le linéaire de la commune, mais à l’échelle intercommunale, c’est difficile, il faut davantage prioriser. Cela implique de faire des choix en fonction de ce qui est défini comme de l’intérêt général. Il y a tout un travail pour définir l’intérêt général, pour mieux calibrer l’intervention de la puissance publique», ajoute-t-il. C’est particulièrement le cas en Charente-Maritime
 où les secteurs à fort enjeu de submersion sont déjà couverts par des PAPI. Sur ce département les SLGBC sont en cours de construction. Elles s’intéressent notamment aux secteurs qui jouxtent les systèmes d’endiguement, car ces « points durs » peuvent parfois être source d’érosion. Un sujet central de ces stratégies est la gestion des sédiments (rechargements de sable). A cet égard les plans de gestion de sédiments devraient permettre, explique Gaël Perrochon, de mieux comprendre les dynamiques des cellules hydrosédimentaires et d’identifier les sources de stocks (de sable) mobilisables localement.

Plusieurs outils donc et plusieurs échelles. Les Projets partenariaux d’aménagement (PPA), que la région Nouvelle-Aquitaine a sû mobiliser de façon pionnière, avec deux PPA expérimentaux Trait de côte sélectionnés par l’Etat en 2020 (1), ont apporté des cofinancements nationaux (Fonds Vert et France 2030) à l’échelle d’un quartier ou d’une station balnéaire, avec des entrées qui ne sont pas uniquement « risques côtiers », mais qui incluent l’aménagement touristique. En 2023, d’autres PPA incluant une problématique de gestion du trait de côte ont été validés, à l’instar du PPA de Bidart Guéthary. Celui-ci combine des études de recomposition spatiale, une sécurisation des sites menacés. Ces PPA complètent donc les SLGBC, avec des cofinancements axés sur des aménagements localisés à l'échelle d'une commune en général.

 


Littoral de Lacanau, dont le PPA expérimental Trait de côte a été validé en 2020
par l'Etat (Crédit photo : OCNA)

 

Vers plus de PPA érosion
Sur le littoral méditerranéen aussi, les PPA sont vus comme un outil intéressant pour encadrer et financer une gestion intégrée du trait de côte. Dans son rapport récent sur l’aménagement du littoral méditerranéen face aux risques liés à la mer et aux inondations (janvier 2025), la Cour des Comptes appelle à « généraliser les projets partena­riaux d’aménagement associant les communes littorales et leur ar­rière-pays ». Le rapport relève que sur “sept PPA traitant de la gestion intégrée enregistrés sur le littoral français », un seul, celui situé à Sète-Frontignan est situé sur la façade méditerranéenne.

Pour autant le dispositif des PPA semble présenter deux points faibles intrinsèques. D’une part, les engagements financiers de l’Etat dans les PPA ne permettraient pas actuellement de financer le volet foncier (acquisition) des opérations de relocalisation. D’autre part, la pérennité des financements associés aux PPA n’est pas avérée, contrairement au fonds Barnier lié aux PAPI, qui est financé par l’assurance sur les catastrophes naturelles. De fait, la Cour des Comptes recommande pour le littoral méditerranéen de constituer au sein des établissements publics fonciers “de nouvelles filiales foncières dotées de ressources dédiées pour l’aménagement et la recomposition du littoral ». Elle évoque aussi la possibilité de flécher certaines recettes issues du tourisme littoral (taxes sur les casinos…) vers l’aménagement intégré du trait de côte.

Toujours est-il que la coexistence des deux cadres de financement (PAPI et PPA) inégaux est susceptible d’influencer les stratégies des élus en matières de systèmes d’endiguement. Il n’est pas impossible, en effet, que cette situation entraîne des élus locaux à opter pour des créations de systèmes d’endiguement côtiers “petits” en termes d’enjeux (population protégée inférieure à 300 habitants), par exemple sur des zones basses soumises à l’érosion dunaire, afin de pouvoir ensuite bénéficier de la “locomotive” du cofinancement national PAPI. A supposer qu’elles aient les ressources pour porter et animer un PAPI et que cela ne contrevienne pas à la doctrine nationale de lutte contre l’érosion, qui fait la part belle aux gestions souples (sans ouvrages en dur) du trait de côte.

 

Pour aller plus loin :

Un premier article concernant la côte basque : Risques côtiers : en Aquitaine, des stratégies locales pionnières

Un second concernant le Finistère : En Sud Finistère, érosion et submersion interagissent

Notes :
(1) Les Trois PPA expérimentaux Trait de côte sélectionnés par l’Etat en 2020 sont ceux de Lacanau, Saint-Jean-de-Luz et Gouville-sur-Mer.

Crédit photos :
Photo de tête - Tréffiagat par Arnaud Monfort pour la CCPBS.

 

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