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En Sud Finistère, érosion et submersion interagissent
Article de journal

Sur le littoral breton, des enrochements installés pour fixer le trait de côte augmentent les risques de submersion. Les intercommunalités du Sud Finistère déploient une gestion intégrée des deux phénomènes. Exemple à Tréffiagat, où un nouveau système d’endiguement va naître, associé à la démolition de sept maisons.
crédit photo : CCPBS
La communauté de communes du pays Bigouden Sud (CCPBS) réunit des ports emblématiques des Cornouailles tels Guilvinec et Loctudy, hauts lieux du tourisme finistérien. Début janvier, c’est une commune un peu moins connue, celle de Tréffiagat, qui a attiré les médias. La raison en était la décision prise par le bloc communal de racheter pour les démolir sept maisons situées derrière un cordon dunaire. Seules les habitations les plus proches de la mer seront démolies, les autres seront maintenues et protégées par un nouveau système d’endiguement. Celui-ci illustre l’imbrication et l’interdépendance entre les phénomènes d’érosion et de submersion.
Le principal ouvrage en dur du futur système, en cours de régularisation administrative, est la barrière d’enrochement de Tréffiagat, mise en place par la commune avant la formalisation de la compétence GEMAPI, autant «pour fixer le trait de côte que pour éviter la submersion », explique Guillaume Esteva-Kermel, chargé de mission risques littoraux à la communauté de communes. 30 ans plus tard, il est désormais clair que l’enrochement conçu contre l’érosion et la submersion (qui n’avait pas été classé avant le projet actuel) aggrave les deux phénomènes, notamment sur son flanc est.
La tentation de l’enrochement
Le quartier de Léhan, où sont situées les habitations les plus vulnérables, s’est développé après les années 1970 derrière la vaste dune de Léhan, sur une zone basse de marais en partie asséchée par les humains. La barrière d’enrochement longue de 400 mètres a été installée à la fin des années 1990, à l’ouest du cordon dunaire. « A l’arrière, il y a toujours une zone de marais et lors des tempêtes, les habitations autour se retrouvaient probablement les pieds dans l’eau. La philosophie courante ces années-là était de figer le trait de côte », raconte le chargé de mission. Et c’est aussi à la fin du siècle dernier, autrement dit récemment, que l’enrochement a été complété par des murets et des gabions maçonnés, tandis qu’à l’est, la dune de Léhan devait faire office de protection naturelle.
Vue panoramique du quartier de Léhan à Tréffiagat (crédit CCPBS)
Interaction érosion submersion
C’était sans compter avec les courants de la dérive littorale. Sur ce secteur de la côte finistérienne, «on a une dérive littorale [des courants le long du littoral] très importante, avec une chasse des sédiments [sable essentiellement] sur la partie Est de la cellule hydrosédimentaire. A cause de la présence de l’enrochement, cette chasse a créé dans la dune une encoche d’érosion très importante », poursuit Guillaume Esteva-Kermel. Le cordon dunaire, large de 30 mètres, a commencé à mincir face au quartier de Léhan, du fait de l’impact des enrochements sur la dynamique du sable local. Cette érosion inédite a été observée et documentée grâce à l’observatoire du littoral qui a été mis en place en 2019 par la CCPBS et complété par les données du dispositif Litto’risques (observatoire OSIRISC en particulier et suivis par drone). « Ces données montrent que le cordon dunaire se réduit à une vitesse un peu exponentielle », ajoute Guillaume Esteva-Kermel.
Gestion court terme
Face au risque immédiat de submersion, l’intercommunalité a décidé, dans l’urgence en 2020, d’enrocher 300 mètres supplémentaires devant le village de Léhan. Mais avec la récurrence des tempêtes et de la chasse sédimentaire, l’enrochement a dû être retravaillé en 2023. Le bloc communal a aussi procédé à des recharges de sable « pour protéger le bassin de risques ». Pour autant, en octobre 2023 entre les tempêtes Céline et Ciaran, malgré un apport de sable en urgence, 20 maisons à Léhan ont dû être évacuées à titre préventif. Fin 2024, la com’com déboursait encore 95.000 euros pour renforcer ponctuellement ces protections, mais la décision était prise de changer de stratégie.
Plage de Léhan vulnérable à l'érosion (Tréffiagat)
Programme PAPI et analyse ACB
Car entre-temps l’intercommunalité avait procédé à des études approfondies, en s’appuyant sur des études précédentes et sur le Programme d’Actions de Prévention des Inondations (PAPI) Littoral Sud Finistère. Ce PAPI a été construit en partenariat avec deux intercommunalités voisines, avec une première version labélisée en 2019 (1). « On a demandé au Bureau d’étude de produire plusieurs stratégies. Il était parti au début sur une défense en dur avec prolongement des enrochements, mais les élus locaux et l’Etat ont demandé de présenter aussi une stratégie de « renaturation », consistant à arrêter d’entretenir l’enrochement de premier rang, qui représente des investissements réguliers et lourds », explique le chargé de mission.
Ces deux scénarios ont ensuite pu être comparés sous l’angle financier en utilisant les méthodes d’analyse coût bénéfice (ACB) et AMC (analyse multi-critères). Les calculs ont contribué à faire pencher la balance vers la renaturation. En termes de coût global, les investissements sont comparables [rachat des habitations versus nouvel enrochement…], mais en coût d’entretien à 30 ans, voir 50 ans, la renaturation est plus avantageuse, précise la communauté de communes. Dans tous les cas, les investissements sont conséquents : 3 millions d’euros ont été alloués pour les achats fonciers tandis que le projet de travaux pour le nouvel endiguement était chiffré à 4,7 millions, dans le PAPI 2024 2029 (action 7.3).
«Extension du futur système d’endiguement de Léhan à Tréffiagat par la création d’une digue retro-littorale » (dossier de candidature pour le PAPI complet Sud Finistère 2024 2029)
Système d’endiguement en deux phases
Au niveau des ouvrages de protection, la stratégie se traduit en un système d’endiguement en deux étapes. A court terme le système, en cours de régularisation début 2025, englobera les ouvrages existants (murets et gabions situés à l’ouest, kilomètre d’enrochements et le cordon dunaire à l’est). Il sera classé C (150 habitants protégés) et permettra une protection contre des tempêtes d’une période de retour de 10 ans, correspondant à une côte de 3,40 mètres NGF. Dans un second temps la stratégie inscrite dans le PAPI prévoit des confortements dunaires et la création d’une digue « rétro-littorale » située derrière le cordon. Rétro-littorale ? Il s’agit d’une digue arrière, qui n’est pas en première ligne sur le front de mer. Evaluée à 3,5 millions d’euros, elle doit servir à protéger « l’ensemble des zones submersibles à l’arrière du cordon d’enrochement et du cordon dunaire en cas de brèche dans ces ouvrages de premier rang », indique le PAPI. La zone protégée sera élargie à 300 personnes environ et à la station d’épuration voisine.
Quant au volet renaturation du projet, il envisage un désenrochement total de la zone, associé à un confortement massif en sable pour recréer une dynamique hydro-sédimentaire. Ce désenrochement fera l’objet d’une étude spécifique. « Passé une phase de recul du trait de côte, une mise en équilibre serait atteinte avec une linéarisation stabilisation du littoral », anticipe Guillaume Esteva-Kermel. En situation de submersion lors d’une tempête, les éléments naturels des parties basses constitueraient le champ de dissipation d’énergie. Comme une bassine qui viendrait se remplir et se vider. Il reste à préciser, en phase études, quelles seront les modalités de vidange de ce champ de dissipation après tempêtes. Le projet implique également une gestion régulière du sable local, avec prélèvement d’un côté, là où se produit l’accrétion, pour recharge de l’autre.
Extrémité des enrochements côté dune de Léhan (crédit CCPBS)
Changement climatique
Reste la question, incontournable, des impacts du changement climatique. Quels ont été les scénarii pris en compte pour construire la stratégie ? «Sur Tréffiagat, c’est le scénario 8.5 du GIEC, le plus défavorable, qui a été retenu, avec l'ajout d'une surcote liée aux tempêtes», répond Guillaume Esteva-Kermel. Sur cette base, la future digue de second rang (rétro-littorale) sera construite à la limite des projections d’érosion, sur une cote de plus de 4 mètres NGF. Elle doit permettre une protection contre les submersions pour une période de retour de 50 ans. Ce scénario du GIEC (8.5), jugé pessimiste, apparaît aux yeux de beaucoup d’observateurs de plus en plus crédible…. Et justifie un peu plus de ne pas trop compter sur les enrochements.
In fine, Treffiagat illustre une configuration assez classique sur le littoral Atlantique, celle de marais, salants ou lagunes, situés sur des zones à faible altitude et qui ont été partiellement asséchés par l’action humaine. Au XIXème siècle, il s’agissait surtout d’exploiter ces terrains pour des activités agricoles, puis dans la foulée des 30 Glorieuses, ces secteurs ont été ouverts à l’urbanisation et aux résidences secondaires. A cette époque, la plupart des acteurs locaux imaginaient encore un niveau de la mer stable.
Pour aller plus loin :
Un premier article chapô : Erosion et submersion, vers une "Gemapi" plus intégrée
Un second article concernant la côte basque : Risques côtiers : en Aquitaine, des stratégies locales pionnières
Notes :
1 – Le PAPI réunit la CCPBS, la communauté de commune du pays Fouesnantais et la communauté d’agglomération de Concarneau. Les PAPI, une fois labélisés par l’Etat, permettent d’obtenir un co-financement étatique pour des études, des travaux et d’éventuelles acquisitions d’habitations, via le Fonds « Barnier » créé en 1995.
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