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Digues domaniales : anticiper leur transfert de gestion
Article de journal
En 2024, la gestion des digues de protection appartenant à l’Etat sera transférée aux autorités « gémapiennes ». Sur le bassin de la Loire, la DREAL Centre-Val de Loire accompagne les intercommunalités en vue de ce transfert. Ce travail nous est expliqué par Sébastien Patouillard, Chef du Département Études et Travaux de la Loire à la DREAL.
Votée le 27 janvier 2014, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », prévoit que les digues gérées par l’Etat (souvent appelée digues domaniales), continueront d’être gérées par l’Etat, pour le compte de la structure intercommunale compétente, pendant une durée maximale de 10 ans. A partir du 27 janvier 2024, ce sont donc les intercommunalités (EPCI) qui reprendront cette gestion dans le cadre de leur compétence GEMAPI.
Article 59 de la loi MAPTAM :
« L'Etat ou l'un de ses établissements publics, lorsqu'il gère des digues à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, continue d'assurer cette gestion pour le compte de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre compétent pour la défense contre les inondations et contre la mer pendant une durée de dix ans à compter de cette date ».
« 2024, pour certains, c’est demain », remarque Sébastien Patouillard. Chef du Département Études et Travaux de la Loire à la DREAL Centre – Val de Loire. Il accompagne, avec son équipe, les collectivités locales et les services départementaux (DDT) en charge de la gestion des digues domaniales, les fameuses « levées » de la Loire. La DREAL accompagne aussi les EPCI dans leurs réflexions préparant le transfert de gestion en 2024. Ce transfert devra ensuite être formalisé par des conventions ad’hoc.
Souvent issues d’une histoire multi-séculaire, les digues domaniales ont été construites par l’Etat pour faciliter la navigation sur les grands fleuves et leurs affluents, ainsi que pour protéger les populations et leurs activités. Elles représentent plus de 1500km de linéaire, dans toutes les régions de France.
Sur le bassin versant de la Loire, les digues s’étendent sur un linéaire important : 800 à 850 km sur les 8000km recensés en France, dont 550 km de digues domaniales (source : DREAL Centre). Ce linéaire a conduit historiquement l’Etat à déployer ses propres moyens d’entretien et de gestion des digues : ce sont les DDT de chaque département qui assurent la gestion et l’entretien courant et la DREAL Centre-Val de Loire qui assure un rôle d’expertise et d’assistance à maîtrise d’ouvrage des grands travaux, sur l’ensemble du bassin. Atypique, cette situation est riche d’enseignements, au-delà du bassin versant de la Loire.
INTERVIEW
Sur le bassin de la Loire, comment avez-vous débuté l’accompagnement des collectivités locales en vue du transfert de gestion ?
Sébastien Patouillard : Nous avons démarré dès 2015 un travail de cadrage : un état des lieux des digues a été initié, sur la totalité du bassin Loire-Bretagne. Ce travail fournit une photographie des systèmes d’endiguement avec les données disponibles de l’époque. Nous avons « zoomé » ce panorama sur les zones où il y a des Territoires à Risque d’Inondation (TRI). Cet état des lieux est un document de référence, c’est souvent le premier point d’entrée sur le sujet pour les EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale).
Quel est le rôle de votre DREAL pour accompagner les EPCI ?
Sébastien Patouillard : D’abord, il faut rappeler que depuis le 1er janvier 2018, date de la prise de compétence GEMAPI, les services de l’Etat ont continué d’assurer la gestion des digues domaniales, pour le compte des EPCI. Des conventions ont été établies en ce sens avec les EPCI, elles formalisent une gestion qui était déjà en place avant. La gestion « courante » des digues (surveillance, entretien, gestion des autorisations, etc.) est effectuée au niveau des départements par chaque DDT, suivant une gestion globale du domaine public fluvial (qui comprend aussi les interventions dans le lit du fleuve). Parallèlement, la DREAL Centre Val-de-Loire apporte son appui technique pour la fiabilisation des systèmes d’endiguement. En effet, depuis 2010 au moment de sa création, la DREAL a développé une mission spécifique d’assistance à maîtrise d’ouvrage sur les opérations d’investissement du Plan Loire Grandeur Nature (PLGN) en soutien des préfectures de département / DDT (60 millions d’investissement pour le PLGN IV en cours d’achèvement). La DREAL est agréée depuis 2011 pour exercer cette mission qui comprend des études et de la maîtrise d’œuvre réalisées en régie, de la conduite d’opérations externalisées auprès de BET privés et de l’expertise pour répondre aux sollicitations techniques des DDT gestionnaires.
Photo : renforcement du corps de digue - Tours Loire Amont - Crédit : DREAL Centre Val de Loire
La DREAL a suivi la réalisation des études de dangers – une quarantaine pour le bassin de la Loire – dont les trois premières (Orléans, Tours et Authion) ont été élaborées en régie.
En prévision des transferts de gestion, comment avez-vous procédé ?
Sébastien Patouillard : Sur le bassin versant, il est courant d’avoir des systèmes d’endiguement qui font 10 à 30 km de long et qui sont à cheval sur plusieurs EPCI.
Nous avons d’abord ciblé ces territoires, en particulier sur la « Loire Moyenne », entre Nevers et Angers. C’est là que c’est le plus compliqué, avec environ 25 EPCI pour un endiguement presque en continu sur les deux rives du fleuve. Il est composé de près de 500 km de digues domaniales. Il s’agit des systèmes de protection les plus importants - en termes d’enjeux de sécurité des personnes - à l’échelle nationale.
Vous avez donc priorisé sur les territoires les plus compliqués et à plus fort enjeu de la Loire Moyenne. Comment se présente le transfert de gestion ?
Sébastien Patouillard : Pour tous les acteurs, c’est un travail de longue haleine. Depuis 2015, la DREAL a contribué à ce que le préfet coordonnateur de bassin réunisse les EPCI de la Loire Moyenne à plusieurs reprises pour les accompagner sur l’organisation de la gestion des digues domaniales à horizon 2024.
En parallèle, une étude a été menée par l’Etablissement public territorial du bassin de la Loire (EP Loire), à partir de 2017, pour une approche de gestion globale. Les réflexions des EPCI ont conduit à écarter une gestion parcellaire des systèmes d’endiguement et à retenir deux scénarios à étudier : celui d’une gestion à l’échelle du bassin s’appuyant sur l’EP Loire et un scénario d’organisation par grands vals (de l’ordre d’une centaine de km) qui permettrait d’avoir une cohérence et une efficacité de gestion s’appuyant sur des syndicats à créer.
Dans le premier scénario, quel serait le rôle de l’EPTB ?
Sébastien Patouillard : L’EP Loire propose une délégation de gestion aux intercommunalités (EPCI). Pour répondre aux besoins des EPCI, il a élaboré un projet d’aménagement d’intérêt commun (PAIC) proposant des moyens mutualisés et une organisation territoriale sous la forme d’antennes locales, au plus proche des systèmes d’endiguement et des collectivités. L’élaboration de ce projet se poursuit avec les échanges en cours avec certains EPCI. Le scénario définitif n’est pas encore décidé, les EPCI poursuivent leurs réflexions.
Qu’en est-il du transfert de gestion sur les cas « plus simples » ?
Sébastien Patouillard : En dehors de la Loire Moyenne, nous rencontrons en effet des cas qui semblent plus simples : c’est quand un système d’endiguement, en majorité constitué de digues domaniales, est présent presque exclusivement sur un seul EPCI. C’est le cas par exemple à Roanne, Vichy, Moulins ou Nevers. Là, il ne devrait pas y avoir de difficultés majeures à ce que chaque EPCI concerné puisse établir une convention de mise à disposition des digues avec les services de l’Etat.
Qu’en est-il du financement de la gestion des digues domaniales ?
Sébastien Patouillard : Aujourd’hui, l’Etat supporte à 100% les coûts de gestion courante de ces digues et pour les investissements lourds, il assure entre 60 à 80% des investissements permettant de relever le niveau de sûreté, le % étant plus élevé sur les territoires à risques importants d’inondation (TRI).
Photo : Renforcement de pied de Levée - Les Prouteaux - Crédit DREAL Centre Val de Loire
Et demain, après le transfert de gestion ?
Sébastien Patouillard : Après le transfert, l’Etat ne se retirera pas du financement des investissements, qui pourra s’inscrire dans le cadre des PAPI et des grands plans de fleuve comme le Plan Loire. La gestion courante elle, devrait être assurée par les collectivités et au besoin via les taxes Gemapi.
Qui doit financer les études de dangers (EDD) avant transfert ?
Sébastien Patouillard : Sur notre bassin versant, les études de dangers des systèmes d’endiguement majoritairement constitués de digues domaniales ont été financées par l’Etat. Les EDD qui devront-être réalisées avant 2024 (c’est le cas des digues de classe A) seront également financées en intégralité.
Une fois un accord sur le financement ou co-financement de l’EDD trouvé, qui doit piloter l’EDD ?
Sébastien Patouillard : Les EDD sur les digues domaniales ont pour la plupart été réalisées avant que les EPCI ne prennent ou ne soient dotés de la compétence Gemapi. Pour les nouvelles EDD sur les digues domaniales, elles sont établies pour le compte des ECPI qui sont donc associées à leur pilotage. Elles sont prises en charge par l’État conformément à l’article 59 de la loi MAPTAM pour celles qui doivent être lancées avant 2024. Pour les EDD suivies par la DREAL, nous avons mis en place des comités de pilotage avec les représentants des EPCI concernés et les responsables des ouvrages contribuant à la protection, de façon à partager les résultats de l’étude, au cours de son élaboration.
Revenons au transfert de gestion. Quelles questions restent à éclaircir ? N’y a-t-il pas une question de transfert de moyens humains, avec des agents de l’Etat qui ont une expertise locale précieuse ?
Sébastien Patouillard : La loi MAPTAM ne prévoit pas le transfert de moyens humains avec la mise à disposition des ouvrages. Mais vous avez raison, la question du devenir des équipes se pose. C’est une question très importante sur laquelle les services de l’Etat mènent actuellement une réflexion en associant les agents. Les collectivités locales, de leur côté, ont aussi fait remonter la question du devenir des compétences techniques.
Y a-t-il d’autres questions à éclaircir selon vous ?
Sébastien Patouillard : Une question clé, qui est liée à celle des moyens humains, est comment garantir la même qualité de gestion et avec quelle mutualisation et quel financement entre les acteurs du territoire.
Et au niveau de votre DREAL, quelles autres questions se posent en lien avec le transfert ?
Sébastien Patouillard : Un des grands enjeux pour nous est de répondre à l’attente des EPCI d’avoir un bilan financier sur la gestion des systèmes d’endiguement (SE) qui les concernent. Se limiter à faire des ratios, pour des SE à cheval sur plusieurs EPCI, peut être trompeur… La question se pose d’une répartition des coûts actuels d’entretien SE par SE. Pas facile, quand les services sont mutualisés… Nous y travaillons avec les DDT pour fournir la meilleure information possible aux EPCI.
Photo : Renforcement de pied de Levée - Les Prouteaux - Crédit DREAL Centre Val de Loire
Quid du transfert de propriété des digues domaniales ?
Sébastien Patouillard : La question de transférer la propriété peut se poser quand un système d’endiguement (SE) constitué de digues domaniales est situé sur un seul EPCI, que le domaine public est transférable et qu’il n’interagit pas avec d’autres SE. A moyen terme, le sujet concernera plutôt les EPCI de l’amont du bassin.
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