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Cotentin : d’Est en Ouest, des digues et des écueils

Retour d'expérience


illustration Cotentin : d’Est en Ouest, des digues et des écueils

Avec plus de 200 km de côte exposée aux submersions et 2000 km de rivières, l’agglomération de Cotentin relève des défis GEMAPI complexes et variés. Avec une déconvenue forte en 2023 : le déclassement de quatre digues sur le littoral.

 « Nous sommes partis avec les forces en place », explique depuis Cherbourg Carine Fouchard, la responsable d'unité Gemapi à la Communauté d’agglomération du Cotentin. En janvier 2017, quand la Communauté d'agglomération a été créée à partir de la fusion de onze intercommunalités (EPCI), la nouvelle unité GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et Prévention des inondations) a incorporé les techniciens de rivière et les agents territoriaux qui étaient en charge des digues. Ils étaient ainsi neuf agents - dix aujourd-hui - à avoir constitué l’équipe, provenant des EPCI et des syndicats de rivière. Toutes et tous ont rejoint la nouvelle Direction du Cycle de l’Eau, qui fédère aussi les équipes en charge de l’eau potable, des eaux pluviales et de l’assainissement, dans une logique de gestion intégrée.

Attentes des élus
Du côté des élus locaux, d’après Jean-René Lechâtreux, vice-président en charge de l'Energie, du Climat et de la Prévention des Risques Majeurs à l’agglomération (depuis 2020), la plupart ont accueilli comme une bonne nouvelle cette prise de compétence. « La création de l’agglomération et sa prise de compétence Gemapi a été vécue comme un soulagement, pour nombre d’élus dont les intercommunalités n’avaient pas les ressources pour entretenir les digues ». La presqu’île normande, dont le centre administratif est à Cherbourg, est en effet exposée aux risques de submersion sur ses côtes Est, Nord et Ouest, ce qui se traduisait, en 2017, par plusieurs plans de prévention des risques et par la présence de 579 ouvrages de protection contre la mer et/ou contre l’érosion du trait de côte.

Six ans plus tard, l’agglomération est en prise avec plusieurs chantiers administratifs et techniques, dont beaucoup se sont révélés plus complexes que prévu. Le tandem des élus et des techniciens a ainsi découvert des ouvrages en mauvais état, hérités de quelques erreurs de gestion et trouvé, chez les services déconcentrés de l'Etat (DREAL et DDTM), un accompagnement parcellaire. «  Nous n’avons pas accès à la moindre concertation ni accompagnement avant le dépôt des dossiers », constate le vice-président. Cet accompagnement tranche avec celui, plus partenarial, qu’on peut observer ailleurs dans l’hexagone au point de faire naître, selon Jean-René Lechâtreux, « un sentiment de frustration et d’incompréhension ».

 


Digue de Saint-Vaast-la-Hougue

 

Le cas Saint-Vaast-la-Hougue
« Parmi nos gros sujets actuels, nous avons la fin des travaux de confortement de la Divette à Cherbourg (2,9 millions d’euros) et la régularisation administrative de trois systèmes d’endiguement sur le littoral», explique Carine Fouchard. L’un d’entre eux concerne le littoral de Saint-Vaast-La-Hougue Réville, sur la côte Est, dont la gestion s’est révélée particulièrement compliquée.

Longue de 2,7 km, ancienne et en mauvais état, gérée par une association syndicale autorisée (ASA), classée B par erreur en 2012 et nécessitant 4 millions d’euros de travaux : telles sont les grandes lignes de la digue en génie civil de Saint Vaast, l’un des dossiers prioritaires de l’agglo.  « L’ASA n’attend qu’une chose, c’est de nous la transférer en gestion», remarquait Carine Fouchard en juin  2023. D’autant plus que des sondages géotechniques conduits par la nouvelle équipe Gemapi ont dévoilé que 300 mètres de linéaire présentaient des cavités, source de vulnérabilité aux tempêtes. A cette découverte s’est ajoutée la faible disponibilité des bureaux d’étude et un imbroglio administratif avec les services déconcentrés de l’Etat. « La digue de Saint-Vaast avait été classée B par arrêté préfectoral en 2012, sur la base d’une sur-estimation de sa population protégée à 4500 habitants, qui ne dépasse en réalité pas 1100 habitants». Comment le chiffre a-t-il été pu être accepté par la préfecture ? Personne n’a la réponse. Pour l’agglo, cette erreur serait sans gravité si elle n’avait pas entraîné, dix ans plus tard, des complications en cascade sur le processus administratif de régularisation du système d’endiguement.

 

Digue de Saint-Vaast-la-Hougue

 

Imbroglio administratif
Ces complications nous étaient résumées en mars 2022 par Carine Fouchard : « Les services de l'Etat étaient d’accord sur le fait que le système d'endiguement soit de classe C [moins de 3000 habitants protégés]. Nous avons obtenu le report de délai prévu (30 juin 2023 au plus tard) pour régulariser les digues de classe C. Mais un désaccord est né sur le statut actuel de la digue et sur la durée de validité de son classement. En toute logique, puisque nous avons obtenu un report de délai, l'autorisation actuelle de la digue devrait se prolonger jusqu'au 30 juin 2024 [d’après le calendrier national]. Mais la DREAL, qui se fie uniquement à la population mentionnée dans l'arrêté de 2012 (4500 h), indique que la digue sera déclassée au 1 juillet 2022». In extremis en juin 2022, l’Etat a consenti à revoir le classement initial (de B à C), par un arrêté préfectoral modificatif. Cette situation a généré de fortes inquiétudes compte tenu de l’état de la digue.

Le dossier de régularisation a finalement été déposé en mai 2023 auprès de la DREAL. Quant au chantier de confortement, très attendu localement, il ne pourra débuter qu’en 2024, une fois l’arrêté préfectoral de classement publié. Le chantier sera alors tributaire d’autres aléas, physiques ceux là : risque pyrotechnique lié aux éventuelles mines héritées de la Seconde guerre mondiale et risque des tempêtes hivernales.

 


L'une des digues déclassées, à Saint-Marcouf

 

Déclassement à Quinéville

Quelques kilomètres plus au sud sur la côte Est, l’agglomération du Cotentin fait face à une autre situation délicate, le « déclassement » de plusieurs digues anciennement classées C. Déclassement ? Le terme désigne la perte de leur autorisation administrative. Cette perte, intervenue après la date butoir de juin 2023 concerne quatre digues situées entre Quinéville et Saint Germain de Varreville. Le déclassement entraîne pour les EPCI un risque de responsabilité juridique élevé, en cas de dommages causés par une brèche sur une des digues. Il s’explique ici par une combinaison de facteurs : la situation géographique de l’endiguement, l’absence d’étude géotechnique dans l’étude de dangers, l’impact des élections municipales de 2020 et du Covid sur les calendriers et la position inflexible des services déconcentrés de l’Etat.

L’endiguement de Quinéville Saint Germain de Varreville se distingue d’abord par sa situation géographique et administrative : il est à cheval sur deux intercommunalités dont l’une, la communauté de communes de la Baie de Cotentin a choisi en 2017 de ne pas intégrer l’agglomération du Cotentin. Ce choix entraine l’obligation (réglementaire) pour les deux EPCI de créer un syndicat mixte commun pour gérer le système d’endiguement.

C’est là qu’intervient le facteur des élections et du Covid : avec les élections municipales de 2020, la création du syndicat, « syndicat mixte des digues de la Côte Est » a pris du temps. Il a été créé en mars 2022 seulement. C’est ce que nous explique Carine Fouchard :

« L’accord de nos élus pour créer un nouveau syndicat mixte, alors que nous venions d’en supprimer plusieurs lors de la création de l’agglo, n’a pas été facile. J'avais tout de même obtenu l'aval de mon Bureau communautaire [donc des élus décideurs] mais le report des élections en 2020 et l'arrivée de nouveaux élus ont retardé la procédure. Le temps ensuite de travailler sur les règles de gouvernance entre les 2 EPCI, sur le partenariats avec les ASA et sur la rédaction des statuts,... Les deux EPCI n'ont pu délibérer favorablement à la création du syndicat mixte que fin septembre 2021 ».

Le syndicat existe depuis mars 2022, présidé par le président de la CdC de la Baie du Cotentin.

« Les contraintes techniques et administratives [locales] se sont révélées incompatibles avec le calendrier officiel [national] ", ajoute Carine Fouchard, qui espérait obtenir un arrêté d’autorisation préfectorale provisoire. Le paradoxe est que cette situation était connue des services de l’Etat et que l’agglomération du Cotentin avait anticipé les difficultés, en demandant au Préfet dès juin 2021 une dérogation au calendrier. Cette demande prenait en compte le facteur technique du dossier : l’absence d’étude géotechnique.


L'une des digues déclassées de Quinéville, à Ravenoville

 

Manque de sondages géotechniques
A Quinéville, les digues ont été bien entretenues par les ASA gestionnaires mais l’étude de dangers conduite en 2017 2018 sous leur pilotage (et récupérée par le nouveau syndicat) avait été réalisée sans sondages géotechniques pour vérifier la robustesse interne des ouvrages… Face à cette carence dans le dossier et à l’urgence des calendriers réglementaires, comment faire ? Financer et réaliser une étude géotechnique ? Impossible tant que le syndicat nouveau n’était pas en place. Conduire cette étude à partir de mars 2022 ?  Les deux EPCI ont préféré déposer un dossier de demande d’autorisation auprès des services de l’Etat (préfecture), construit avec des hypothèses de solidité défavorables fondées sur la connaissance de l’état des digues et associées à la proposition de réaliser les études géotechniques dans la foulée. « Le mieux, de notre point de vue, aurait été une régularisation préfectorale provisoire, assortie de l’obligation de conduire l’étude géotechnique », explique Carine Fouchard.

Demandé en juin 2021, la dérogation de régularisation a été obtenue très tardivement : en juillet 2022, et avec un délai de trois mois seulement. Elle était assortie d’une note d’orientation de la DREAL indiquant que faire une étude géotechnique serait « préférable ». Quelques mois plus tard , les services de l’Etat ont refusé la régularisation et le syndicat mixte a compris qu’il aurait fallu traduire par « indispensable ».

Les services instructeurs (DREAL) ont aussi demandé des études complémentaires pointues, comme la vérification de points d’ancrage de batardeaux, le passage de caméras sur les exutoires et des fouilles à la pelle. « Nous avons demandé à quel niveau de précision il convenait d’aller et faute de réponse, nous avons décidé d’apporter la précision maximum, ce qui augmente la facture de 72.000 euros », précise Carine Fouchard.

L’agglomération a aussi complété le dossier de demande initial, en avril 2023, en incluant des éléments attestant de l’engagement à réaliser les inspections géotechniques : transmission du cahier des charges et rétroplanning. Tous ces efforts n’ont pas suffi et les digues ont été déclassées le 31 mai 2023, Cherbourg obtenant une réponse officielle des services de l’Etat le 4 juillet 2023.

Saint-Vaast-la-Hougue


Manque de dialogue
« Nous ne refusons pas les demandes d’études complémentaires, mais nous aimerions pouvoir communiquer plus en amont et anticiper. Que ce soit à Saint Vaast ou à Quinéville, la DREAL a refusé de nous accompagner en amont des dépôts de dossiers, nous renvoyant sur les Bureaux d’étude agréés», explique aujourd’hui le vice-président Jean-René Lechâtreux. Cet accompagnement aurait permis d’économiser du temps et de l’argent, et d’aborder plus sereinement les autres dossiers Gemapi de l’agglomération : travaux sur la Divette à Cherbourg, études techniques à Urville, mise en place des servitudes Gemapi à Barneville, sans oublier la construction attendue d’un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI).

 


Visite de la digue de la Divette à Cherbourg

 

PAPI d’avenir
Le PAPI à l’échelle de l’agglo, « c’est un très gros et beau projet », estime Jean-René Lechâtreux. Il sera le premier sur la presqu’île, faisant suite à un projet de PAPI lancé sur Cherbourg en 2010 et stoppé en 2014. Ce nouveau programme permettra d’avoir une « gestion intégrée et une vision d’ensemble », anticipe Carine Fouchard. Le PAPI permettra aussi d’obtenir des financements de l’Etat en complément de la taxe Gemapi qui s’élève à 1,6 millions d’euros annuels et des financements du budget général. Autre intérêt du PAPI : il aidera à renforcer la culture du risque dans les communes et faire le lien avec les Plans Communaux de Sauvegarde.

Alors que la fin de l’année 2023 se rapproche et avec elle la saison des tempêtes, le tandem des élus et des agents gémapiens ne manque ni d’énergie, ni de vision. Tous aimeraient bien tourner la page de ces dossiers de régularisation.

 

Thibault Lescuyer, pour France Digues

 

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CARACTERISTIQUES CLE DE l’AGGLOMERATION DU COTENTIN

Littoral

220 km

Nombre de communes présentes

129

Nombre d’ex EPCI

11

Effectifs de l’unité Gemapi

10 personnes

Linéaire d’ouvrage des systèmes d’endiguement prédéfinis

17 km

 

 

Crédit photos : Agglomération du Cotentin.

 

 

 

 

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