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Comment Grenoble sécurise ses torrents
Retour d'expérience
Face aux risques de crue torrentielle, la métropole déploie une stratégie de travaux et d’acquisitions foncières. Exemple à Meylan, sur le torrent de Jaillières, où un système d’endiguement va être créé.
Nous sommes à Meylan, commune grenobloise située sur les contreforts du massif de la Chartreuse. Au bord du torrent de Jaillières, des travaux de prévention des inondations ont commencé en mars 2022 et devraient se poursuivre jusqu’à l’automne. Ce projet constitue le plus gros chantier torrentiel pour la métropole de Grenoble, depuis qu’elle a pris en 2018 la compétence « Gemapi » (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) sur les torrents de ses 49 communes. Il s’agit d’un chantier avec un budget d’environ 900.000 euros (études, travaux et acquisitions foncières inclus), dont une des principales difficultés aura été le volet foncier. Globalement, le projet illustre bien les spécificités de la Gemapi (ici surtout le volet « PI ») sur un torrent de montagne à enjeux humains.
Torrentiel pur
« Le torrent fait 3,2 km de long, dont 3 km environ en zone urbaine ou péri-urbaine. Sa pente est très variable, de 30 à 40% sur la partie amont, à 10 à 15% en zone habitée. Il est à sec une partie de l’année mais en cas de forte pluie, le temps de concentration est très court, 15 à 30 minutes, la réaction du torrent est donc quasi immédiate», explique Loïc Leplaé, responsable de l’unité Travaux (quatre personnes, pour les travaux d’investissement et d’entretien) au service Gemapi de la métropole de Grenoble.
Ouvrages de montagne
Les ouvrages présents sont très classiques pour ces cours d’eau de montagne : sur la partie supérieure du torrent, domaniale, une grande plage de dépôt sert à recevoir l’eau chargée de pierres ou d’embâcles. Elle est gérée par le service de restauration des terrains en montagne (RTM). « Nous avons une étroite collaboration avec eux et nous sommes en train de définir ensemble le plan de gestion afférent à cette plage. Cela permettra d’affiner dans les années à venir, notre vision sur le transit sédimentaire du torrent » précise Loïc Leplaé. Plus en aval, disséminés sur le trajet, une vingtaine de seuils transversaux servent à maintenir le profil en long du torrent. Sur les côtés, des merlons de curage, souvent très anciens, viennent endiguer son cône de déjection. Les merlons ont été érigés pour partie avec les matériaux graveleux prélevés dans le lit du torrent. C’est surtout leur état, très dégradé, qui crée le risque pour les riverains, l’urbanisation du cône de déjection ayant été menée dans son intégralité.
Car si en été le torrent est souvent à sec, lors des fortes pluies le débit peut atteindre jusqu’à 11 m3/seconde. L’eau est chargée de sédiments solides et d’embâcles (débris boisés). Elle pourrait traverser les merlons dégradés et ensuite «partir à droite ou à gauche », au risque de traverser une zone d’habitation et de faire des dégâts importants. C’est précisément ce que la métropole veut éviter à Meylan sur le linéaire le plus dégradé.
Travaux focalisés
Les travaux actuels ciblent « un tronçon en très mauvais état de 250 mètres, avec des merlons qui se sont verticalisés, à cause d’une incision du torrent assez marquée, de l’ordre du mètre, qui s’aggravait. Les merlons étaient en train de s’effondrer petit à petit dans le torrent au fil des crues. Réduire le risque de rupture est l’objectif principal du projet », explique Loïc Leplaé. Sur ce linéaire en zone urbanisée, l’objectif est de remettre le torrent sur un profil équilibré, autrement dit une pente d’environ 5% qui équilibre les transports solides. Outre un travail sur les seuils et les merlons, un mur d’enrochements bétonnés, destiné à devenir un système d’endiguement, va renforcer la protection. Auparavant, il aura fallu couper de nombreux arbres, car le risque de déracinement devenait important. « Un crève-cœur » pour l’agent territorial. La coupe sera compensée par une plantation dense arbustive sur la berge côté riverain. « Les autorités n’en voulaient pas [la doctrine n’autorisant pas la replantation d’arbres sur les digues à cause des risques racinaires] mais sans cela les riverains n’auraient jamais accepté ». Un compromis a finalement été trouvé avec les services de l’Etat, sur le choix et l’emplacement des arbustes.
Foncier et accès compliqués
Quand elle a repris le projet initial, esquissé par l’ancien syndicat intercommunal des torrents du Saint-Eynard (dissous en 2018), la métropole s’est heurtée à deux difficultés : l’accès aux berges pour réaliser les travaux et les réticences des riverains face aux enjeux fonciers. « Sur ce type de torrent, les accès sont très rares et une grande partie des merlons se situent sur des parcelles privées, au fond de jardins paysagers », explique Loïc Leplaé.
La première version du projet, qui ciblait les 100 mètres linéaires les plus préoccupants, prévoyait un accès de trois mètres de large qui n’a pas été autorisé par les riverains. «Nous avons relancé le projet en augmentant le linéaire à 250 mètres, ce qui permet de créer un accès acceptable pour des travaux de cette ampleur. Et nous avons lancé des négociations avec tous les riverains pour avoir la maîtrise du foncier sur les merlons» explique le responsable de l’unité Travaux.
Conventions avec les riverains
Car une des difficultés, bien connue des gestionnaires de digues, était liée à la présence d’une partie des ouvrages sur des parcelles privées. Pour pouvoir agir, le gestionnaire (la métropole) doit avoir « la maîtrise du foncier », ce qui passe par la mise en place d’une servitude d’accès (acte notarié) et/ou par le rachat du talus du torrent, ce rachat pouvant être négocié ou bien imposé par une expropriation (via une procédure DUP de déclaration d’Utilité Publique). La DUP n’implique pas une expropriation systématique, souvent elle agit comme une épée de Damoclès lors des négociations.
«Au départ, nous n’avions ni la volonté ni le temps de recourir à la DUP car la procédure nous semblait trop longue et trop lourde pour le projet initial. Nous voulions agir en bonne intelligence avec les riverains », explique Loïc Leplaé. Des négociations ont été lancées et un compromis a pu être dessiné : la métropole acquiert le talus côté cours d’eau et les crêtes des digues, mais les talus côté habitations resteront la propriété des riverains, avec une servitude de passage pour entretien et travaux. L’ensemble a été formalisé dans une convention signée avec chaque propriétaire.
Sauf que tout cela s’est révélé très laborieux. «Au début les gens étaient réfractaires à l’idée d’une convention que ce soit pour une servitude ou pour de l’acquisition. Il a fallu les rencontrer, j’ai dû voir certains riverains plusieurs fois sans compter les coups de téléphone. Certains ne savaient pas qu’un torrent passait derrière leur jardin !» ajoute Loïc. Vingt conventions ont finalement été signées à l’amiable, presque un exploit.
« On a réussi à éviter la DUP mais paradoxalement je ne pense pas qu’on le refera. C’est extrêmement chronophage ! », analyse aujourd’hui le responsable de l’unité travaux. La DUP ne permet probablement pas de gagner en délais (il faut compter plus d’un an et demi), mais elle permettrait, sur ce type de projet, d’économiser un temps long de négociation.
Définir le système d’endiguement torrentiel
Une autre difficulté attend le service Gemapi de la métropole : définir le nouveau système d’endiguement issu des travaux. C’est un engagement pris avec les services de l’Etat et une condition pour que les travaux soient autorisés.
La protection devrait être de niveau centennal. L’enjeu humain est plus difficile à définir. Il est actuellement estimé entre 200 et 500 habitants, une fourchette volontairement très large, liée à la difficulté de prévoir tous les parcours possibles du torrent en cas de rupture de digue.
Mais la principale difficulté pour la définition du système sera de décider du linéaire et des ouvrages inclus. « Il y aura à minima les nouvelles digues et la plage de dépôt comme ouvrage contributif. Mais y aura-t-il les anciens merlons de curage présents sur toute la longueur ? Cela augmenterait le linéaire de 500 mètres à deux fois 3 km environ, avec des ouvrages dont l’état est très dégradé et qui n’ont pas été conçus comme des digues », s’inquiète Loïc Leplaé. Or qui dit linéaire augmenté dit obligations d’entretien et de surveillance renforcées. Mais est-ce bien nécessaire ? Les spécialistes du régime torrentiel semblent en douter.
Que ce soit à Grenoble ou dans les autres zones de montagne, les gestionnaires des régimes torrentiels se heurtent à une difficulté déjà signalée par France Digues : la réglementation sur les systèmes d’endiguement n’a pas été pensée pour le cas particulier des torrents et des transports solides. Certes, l’arrêté de 2019 (1) offre une certaine souplesse, mais celle-ci n’est pas toujours appliquée par les services de l’Etat et elle resterait (trop ?) limitée.
Du point de vue du praticien, une solution serait de déclarer le système en le ciblant sur les ouvrages qui font l’objet de la reprise (500 mètres), quitte à le compléter par la suite, si d’autres secteurs à risque impliquent des travaux significatifs. Encore faudrait-il démontrer que les merlons hors système ne créent pas un risque de suraléa… Ou sinon, les mettre en transparence ? On le voit, des incertitudes demeurent quant à la meilleure solution à retenir. Des discussions complexes s’annoncent avec les services de l’Etat. Les travaux, eux se poursuivront jusqu’à l’automne 2022.
- Arrêté du 30 septembre 2019 modifiant l'arrêté du 7 avril 2017 précisant le plan de l'étude de dangers des digues organisées en systèmes d'endiguement et des autres ouvrages conçus ou aménagés en vue de prévenir les inondations et les submersions
Crédit Photos : Métropole de Grenoble.
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